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Burn-Out Militant | Comment Trouver l’Équilibre entre Engagement et Santé Mentale ?

Des ressources, du mental et de l'impact, c'était le thème de la 4ème édition du Printemps des Impactrices. Autant dire qu'une analyse sur le burn-out militant s'imposait !

La santé mentale est un enjeu devenu de plus en plus crucial, particulièrement depuis la crise sanitaire. Explosion des burn-out, détresse psychologique des salarié·es, montée de l’éco-anxiété… Dans ce contexte, pas facile de s’engager dans la vie associative ou dans sa vie professionnelle dans des secteurs où les ressources financières sont plus limitées. Même si le burn-out militant n’est pas une fatalité, une remise en question est toutefois nécessaire. Alors comment maintenir son engagement sur le long terme et sans s’épuiser physiquement et mentalement ?

L’épuisement militant, un constat inquiétant

Le burn-out militant, c’est quoi ?

Angoisse, insomnie, découragement, épuisement… Les expériences de chacun·e diffèrent. Le burn-out, c’est un état d’épuisement physique, psychique et émotionnel de plus en plus courant (et documenté) dans le monde du travail. Il touche 34 % des salarié·es français·es toutes professions confondues, selon un sondage réalisé par Empreinte Humaine et OpinionWay en 2022. Le sociologue Simon Cottin-Marx, auteur de Sociologie du monde associatif observe que le burn-out militant est toutefois bien particulier, puisque les activistes s’engagent volontairement dans une cause, contrairement aux salarié·es qui travaillent en échange d’un salaire.

Le terme “burn-out militant” a été popularisé par l’activiste Anaïs Bourdet, à l’origine de la page Tumblr Paye ta shnek, qui recensait des témoignages de violences sexistes et sexuelles dans l’espace public. C’est en 2019 qu’elle en parle pour la première fois afin de nommer ce mal-être qui touche le monde militant, et dont elle est elle-même victime, la poussant finalement à fermer son Tumblr.

Le burn-out militant : qui concerne-t-il ?

Une française sur sept travaille dans le secteur de l’ESS (Économie Sociale et Solidaire), représentant ainsi 68 % des salarié·es. C’est deux fois plus que les hommes. Les associations, quant à elles, sont composées à 71 % de femmes. Les chiffres sont clairs : les femmes sont plus impliquées dans le monde de l’impact et pourtant absentes des tables de décision. De plus, elles sont surexposées au burn-out et aux risques psychosociaux dans le milieu professionnel, notamment lorsque l’engagement cohabite avec le monde professionnel. C’est ce que confirme l’étude de McKinsey & Leanin.org : parmi les raisons majeures de cette surexposition au burn-out, on note l’effet de la double journée. En plus de l’épuisement professionnel aggravé par la pandémie, les femmes font cinq heures de plus par jour de travail domestique non rémunéré. Autre raison : les femmes sont plus à l’écoute. En effet, les statistiques montrent que 31 % des manageuses ont pris plus de mesures pour soutenir psychologiquement leurs équipes, contre 19 % des hommes.

Notons aussi que les jeunes sont plus confrontés à l’éco-anxiété. Vanessa Jérôme, politiste et docteure associée au Centre européen de sociologie et de science politique (CESSP), remarque d’ailleurs que les individus qui s’engagent dans le monde associatif sont de plus en plus jeunes, un engagement peut-être accentué par la visibilité que les réseaux sociaux offrent au militantisme.

Les raisons du burn-out militant : devons-nous remettre en question notre manière de militer ?

Dissonance entre les idéaux et la société actuelle

Nous avons besoin de sens et de cohérence dans nos vies. Être en questionnement perpétuel contribue à nous faire perdre nos repères, puisque qu’être engagé·e implique de remettre en question tous les aspects de notre vie quotidienne. Pas toujours facile donc d’incarner nos valeurs dans la société actuelle, surtout quand on doit gérer les conflits moraux entre nos idéaux militants et notre occupation professionnelle, par exemple.

Écolo-bashing

Militer, c’est aussi s’exposer à la violence. Nous avons déjà abordé la question de l’écolo-bashing, cette banalisation de la violence envers les écolos à laquelle les médias et politiques contribuent largement. La journaliste Salomé Saqué évoque souvent sur ses réseaux sociaux son sentiment d’usure face à la violence des messages qu’elle reçoit. Cela ajoute à la surcharge émotionnelle des activistes.

Screenshot d’un post sur le compte Instagram de Salomé Saqué

Les limites du geste individuel

“Faire son propre dentifrice au bicarbonate de soude, ça peut perdre les plus grands militants,” blague l’humoriste écolo Swann Périssé à l’antenne de France Inter. Sous le ton de l’humour, elle décrit un véritable phénomène dont elle a fait elle-même l’expérience : le burn-out militant. Après son éveil écologique, elle documente tout ce qu’on peut faire à l’échelle individuelle pour la planète sur sa chaîne YouTube : composter, avoir un potager, fabriquer ses produits zéro déchet, utiliser des toilettes sèches, etc. Sauf qu’à force de vouloir être l’écolo parfait·e, la pression qu’on se met peut devenir intenable. Un sentiment s’installe : chaque petite décision est d’une importance capitale. C’est à ce moment que son engagement devient plus politique. Pour Albert Moukheiber, docteur en neurosciences psychologue clinicien, ce sentiment d’impuissance est notamment alimenté par l’ultra-responsabilité de l’individu sur son monde, mise en avant par la société libérale.

Surcharge de travail

Une des principales causes du burn-out militant, c’est la surcharge de travail due à un manque d’effectif et de moyens. France Bénévolat remarque une baisse de l’engagement des bénévoles entre 2019 et 2022. Parmi celles et ceux qui ont arrêté de donner du temps pendant la pandémie, trois quart n’ont pas repris leurs activités. On remarque aussi une baisse des adhésions et à un ralentissement des moyens d’action dans le milieu syndical, selon Charles Berthonneau, l’auteur d’une thèse sur le déploiement syndical dans des secteurs précarisés, qui observe notamment une souffrance chez les personnes responsables du personnel. Même constat pour l’association L’BURN : 87 % des dirigeant·es associatifs font face à un manque de moyens humains et financiers. Une grande majorité déclare que cela impacte négativement leurs conditions de travail.

Manque de résultats : fatalisme et impuissance

Les militants la connaissent bien : cette impression de combattre en vain, d’être une goutte d’eau dans l’océan tant il est difficile de voir l’impact réel de ses efforts. C’est ce qu’explique l’activiste Anaïs Bourdet : en recueillant des témoignages éprouvants de femmes victimes de harcèlement et de sexisme, elle commence à ressentir de la lassitude face à l’indifférence des services publics. Même histoire pour Laure Salmona et Johanna-Soraya Benamrouche de l’association Féministes contre le cyberharcèlement face aux témoignages des femmes qui subissent des violences en ligne. Épuisement, masse de travail, manque de reconnaissance, découragement face au peu de résultats… Elles n’arrivent plus à gérer émotionnellement. Elles lancent le le hashtag #PayeTonBurnOutMilitant, qui récolte de nombreux témoignages sur les problèmes de santé mentale des activistes.

L’idéal de pureté militante

Dans certains milieux activistes, une forte pression est exercée sur les militant·es, souvent en proie à la culpabilité et au besoin d’appartenance au groupe. C’est un sujet abordé par Elvire Duvelle-Charles dans Féminisme et Réseaux sociaux, une histoire d’amour et de haine. Le mouvement #MeToo a libéré la parole féministe sur les réseaux sociaux, avec la floraison de dizaines de comptes dédiés au patriarcat et à l’éducation sexuelle. Alors même que ces cyber-activistes visibilisent les idées féministes, l’autrice remarque que la violence des conflits entre militantes s’accentue à cause de la déshumanisation des échanges et la banalisation du harcèlement en ligne. Déjà, dans son livre La Volonté de changer publié en 2004, l’activiste bell hooks évoquait une forte division entre les féministes qui souhaitaient inclure les hommes dans la lutte et celles, plus radicales, qui rejetaient catégoriquement les représentants du patriarcat.

La place des réseaux sociaux dans l’activisme contemporain

Les réseaux sociaux contribuent à la surcharge émotionnelle des militant·es, car ils jouent aujourd’hui un rôle central dans la construction de l’engagement. Les algorithmes contribuant à la circulation des informations prennent en compte nos failles cognitives. Celles-ci accentuent par exemple notre tendance à nous oublier en faisant défiler un fil d’actualité ou à prioriser les informations qui renforcent nos propres convictions. C’est pourquoi l’usage (passif) des réseaux sociaux accentue le risque de surexposition aux mêmes types de contenu, et donc à la saturation émotionnelle. Vanessa Jérôme explique que le militantisme est devenu invasif (overdose du même type d’informations) et individualisé (à travers notre profil personnel) sur ces plateformes. Nous nous sentons constamment et personnellement sollicité·es, accentuant la difficulté de nous protéger face aux raz de marée émotionnels. Avec une nouvelle forme d’activisme est née une autre forme de violence.

4 pistes d’action : comment maintenir son engagement et sa santé mentale sur le long terme ?

Se déconnecter

Le militantisme, c’est se battre pour la justice. Notre engagement vient de nos valeurs personnelles : il peut donc être difficile de se déconnecter. Pourtant, retrouver de la légèreté dans nos vies est essentiel : être insouciant·e, s’accorder des pauses, se permettre d’accueillir la joie, nourrir nos relations hors de l’activisme.

Se libérer des injonctions néolibérales

Dans une émission de Mediapart, Marie-Laure Guislain, autrice et performeuse, pense que c’est la violence du néolibéralisme – soit un processus de destruction de l’humain issu des techniques de management mises en place dans les années 80 – qui est responsable du burn-out militant. Après un burn-out, elle s’intéresse aux raisons qui mènent les activistes à l’épuisement, empêchant les luttes de durer dans le temps. Pour elle, une perte de sens s’opère due à l’incohérence d’un système qu’on combat mais qu’on reproduit (malgré nous) dans nos vies. Dans son spectacle, “Désenvoutement ou le néolibéralisme va-t-il mourir et comment faire pour que ça aille plus vite,” elle nous invite à nous détacher des injonctions néolibérales de la productivité et de l’urgence. Avec son association Allumeuses, elle accompagne les collectifs pour sortir de l’épuisement, remettre le soin au centre et retrouver la joie militante.

Se créer des défenses pour faire face aux difficultés

Ne pas poser de limites entre sa vie personnelle et son engagement peut rapidement conduire à une surcharge émotionnelle. Il s’agit de se construire des digues personnelles. Pour ce faire, Géraldine Franck, militante pour les droits des personnes humaines et animales, suit quelques principes. Elle se donne l’autorisation de ne pas se renseigner sur un sujet quand elle n’en a pas envie, veille à célébrer les petites victoires et à envoyer des informations positives à d’autres militant·es, ou encore, à s’engager uniquement dans des projets avec des objectifs précis.

Quant à Colline Charpentier, créatrice du compte Instagram T’as pensé à, dédié aux inégalités domestiques, elle a retrouvé la joie de l’activisme en transformant son Instagram personnel en collectif, lui permettant ainsi de retrouver l’anonymat. De plus, elle n’hésite plus à rediriger les personnes en souffrance vers des associations spécialisées au lieu de gérer leurs témoignages seule.

Prendre soin du groupe

Le bien-être des équipes est une question de plus en plus importante en entreprise. Pourquoi pas dans les milieux militants ?

  • L’avocat et activiste américain Dean Spade suggère d’accorder du temps à la vie collective du groupe en dehors des actions militantes, mais aussi de porter une attention particulière à l’accueil, la formation et l’intégration des nouveaux arrivants.
  • Le collectif écologiste Dernière Rénovation prend position sur la prévention collective de la santé mentale avec la création d’un département “Soin pour les activistes”. Cela consiste à organiser de temps de parole, de cercles d’écoute, de debriefs systématiques après une action.
  • L’association de protection animale L214 a un plan d’action contre les risques psychosociaux, avec un psychologue et des entretiens réguliers qui portent sur la charge mentale.
  • Extinction Rebellion prévoit des espaces de parole, encourage la communication non violente et la bienveillance dans le mouvement pour éviter aux membres de s’enfoncer dans la solitude.

Cette année, le thème du Printemps des Impactrices était “Des ressources, du mental et de l’impact.” Le temps d’une journée, Les Impactrices ont accueilli des accélératrices du changement, des expertes inspirantes et engageantes. Avez-vous manqué notre événement dédié à l’empouvoirement collectif et inclusif au service du défi climat ? Pas de problème, nous avons intégralement enregistré le Printemps des Impactrices 😉 Vous pourrez bientôt retrouver les replays des Tables Rondes sur notre chaîne Youtube !

Pour aller plus loin

Paye ton burn-out militant

Sauver le monde sans s’effondrer, fanzine pour les militant·es et les bénévoles par Amnesty International

Le burn-out militant. Réflexions pour ne pas être consumé·e par le feu militant. Simon Cottin-Marx

À Propos de l'auteurice