Pour cette première édition, nous avons choisi un ouvrage de bell hooks, La volonté de changer. Si le sujet des hommes, de la masculinité et de l’amour t’intéresse, reste un moment avec nous : l’autrice a bien des choses à dire… Quel avenir est-il possible pour l’homme féministe ?
La volonté de changer : ce qu’on en retient
L’homme patriarcal, expliqué par bell hooks
Nous naissons tous et toutes avec des émotions
Les êtres humains sont tous dotés des mêmes sentiments, mais ce sont les rôles qu’on nous assigne de manière générale en fonction de notre sexe qui biaisent notre rapport à ce que nous ressentons. D’une part, on considère que les émotions sont à l’antipode de la virilité. En refusant l’expression de toutes formes de sentiments – à part la colère – les hommes apprennent à se détacher de leur nature émotionnelle pour devenir des êtres patriarcaux. Les femmes, quant à elles, sont considérées comme la quintessence même des émotions : fragiles et sensibles, elles sont limitées à prendre soin des autres au sein du foyer.
Éducation des garçons, moment pivot vers la masculinité patriarcale
De manière générale, on enseigne aux garçons à ne plus exprimer leurs sentiments. Et s’ils le font ? Ils sont humiliés. Ils font l’expérience d’un apprentissage brutal du patriarcat : une dissociation prend rapidement place entre l’être humain naturellement doué d’émotions et ce qui est attendu de lui dans la société. Les hommes sont encouragés à porter un masque, à vêtir une double personnalité. On ne leur apprend pas à être dans leur intégrité, à prendre soin d’eux, à se regarder en face, à être dans une relation de partenariat. Pour bell hooks, il faudrait revenir à un état d’acceptation des émotions pour que les hommes puissent se (re)connecter à un état intérieur.
La violence est un moyen de survie dans la société patriarcale
Dans l’ouvrage La volonté de changer, bell hooks explique que la violence patriarcale est un outil de survie, particulièrement pour les hommes pauvres issus de la classe ouvrière. En fait, c’est le moyen le plus facile et rapide de prouver leur virilité. Cela veut-il dire que les hommes privilégiés ont moins besoin d’exprimer leur violence ? Tandis que ces derniers sont véritablement puissants dans la sphère publique (ils sont bien souvent au pouvoir), les ouvriers peuvent seulement exprimer leur domination au sein de leur foyer, seul espace où ils exercent un ascendant sur l’autre.
Le travail, source de valeur pour les hommes
L’argent et le travail définissent la valeur des hommes dans notre société. Leur insatisfaction quant à la nature de leur occupation les pousse à vouloir remplir un vide intérieur par le sexe et la pornographie. Dans ce contexte, les femmes sont parfois jugées responsables de leur avoir volé leur rôle de pourvoyeur. Pour certains, ce serait même la cause de la crise de la masculinité.
Pour bell hooks, le travail est généralement ce qui empêche les hommes de faire l’expérience de l’amour. Il est attendu des hommes qu’ils sacrifient tout ce qui lié aux émotions (l’éducation des enfants, passer du temps avec ses partenaires, etc.) pour leur travail. C’est pourquoi beaucoup préfèrent que les femmes restent à la maison : c’est une manière de conserver le pouvoir tout en évitant de se confronter à eux-mêmes.
Pourtant, participer à l’éducation des enfants permettrait aux hommes d’apprendre à prendre soin des autres. Malheureusement, le travail reste l’excuse idéale pour éviter l’entre-soi. Dans la société patriarcale, il n’y a pas de place pour les émotions au travail. Cela reste quelque chose propre au foyer, qui revient aux femmes. Dans ce contexte, on peut comprendre que les hommes perdent leur raison de vivre en partant à la retraite. Pour bell hooks, le travail a bien sûr le potentiel d’être un espace de développement personnel où tisser des liens avec les autres. Ce jour viendra…
La retenue émotionnelle comme source de domination
L’autrice explique que les hommes entretiennent un rapport biaisé à l’amour. Incapables d’exprimer leurs émotions, ils affirment toutefois leur virilité par la sexualité. Le mot baiser est couramment utilisé pour parler des rapports sexuels, mais toujours dans un contexte de violence puisqu’il est lancé comme une insulte. Pour bell hooks, la distance émotionnelle des hommes les entraîne vers des relations amoureuses insatisfaisantes.
D’où vient cette distance ? Celle-ci viendrait du lien entre la mère et le fils, brisé trop tôt. Au bout d’un certain âge, la mère n’incite plus son fils à exprimer ses sentiments par peur de l’émasculer : le garçon n’a donc pas assez de temps pour apprendre à exprimer ses sentiments librement. C’est la première femme qui l’abandonne, créant ainsi un rapport pervers à l’amour puisqu’il s’attend au même “abandon” de la part des autres femmes.
Comment l’ordre patriarcal est-il entretenu ?
Le rejet des hommes
Pour bell hooks, le rejet des hommes de la part des femmes révèle une chose : la peur. Une peur qui renforce ce mythe de la toute puissance masculine. Le courant féministe traditionnel a rendu légitime l’expression de notre colère. Mais parle-t-on de notre peur, de notre vulnérabilité, de ce que les hommes nous font ressentir ? On aborde bien souvent la masculinité sous l’angle de sa violence. Toutefois, n’est-ce pas seulement une infime partie de ce qu’on pourrait dire des hommes ?
Rappelons que la peur des hommes n’est pas uniquement féminine. La peur des hommes face aux autres hommes est très présente dans la société : notamment la peur d’être ridiculisé. Résultat ? La boucle est bouclée, ce système patriarcal nous retient tous et toutes dans l’oppression. Pour l’autrice, il faut apprendre à nommer cette vulnérabilité que nous ressentons face à la toute puissance masculine affichée. Pourtant, nous la gardons comme un secret, illustrant l’emprise de l’homme patriarcal sur nous.
Le système capitaliste
Quel est le problème avec le capitalisme et le monde du travail ? Ils ne laissent pas de place pour réfléchir à notre vie, nous remettre en question. Après une dure journée de travail, pas facile de prendre le temps de se connecter aux autres ! Pour bell hooks, c’est une des raisons pour lesquelles les hommes sont terrifiés d’être au chômage : ils ont peur de se connaître eux-mêmes ; et donc, de faire face à leurs émotions. bell hooks remet en question le système capitaliste, car il est essentiel de bénéficier de plus de temps pour faire un travail émotionnel, qui repose actuellement sur les femmes. Ce qui explique notamment pourquoi les femmes sont moins riches que les hommes.
Transmission du patriarcat par les femmes
Au-delà du comportement des hommes, les femmes sont, elles aussi, responsables de la transmission du patriarcat à travers leur rôle de mères et les partenaires qu’elles choisissent. Par exemple :
- Les mères peuvent rediriger la violence qu’elles subissent vers leurs enfants, en quittant le foyer.
- Les femmes peuvent contribuer à refouler les émotions des hommes (pourtant prêts à communiquer) en ne sachant pas comment les accueillir.
Demandons-nous : qu’est-ce qu’aimer les hommes dans une société patriarcale ? Nous reproduisons (inconsciemment ou non) les codes du patriarcat en succombant aux idéaux masculins. bell hooks explique :
Les médias et la culture populaire se nourrissent de sexisme
La culture populaire met en scène sans remettre en cause. Pourquoi c’est important ? Elle nous entoure continuellement, nous éduque en érigeant certains comportements en modèles, et nous n’avons pas toujours les filtres nécessaires à la pensée critique. bell hooks donne l’exemple du film Hulk : l’histoire d’un médecin respecté dans la sphère publique, mais qui se transforme en un bonhomme vert agressif lorsqu’il se laisse déborder par ses émotions. Pour elle, c’est l’illustration même de la violence masculine socialement acceptée.
Les médias et l’industrie du divertissement se sont emparés de la fascination du public pour les sujets sensationnels : la violence des hommes et les histoires de meurtres. Pensons à l’une des dernières séries à succès (bien que très polémique) de Netflix, Monstre: L’Histoire de Jeffrey Dahmer.
La volonté de changer, par bell hooks : y a-t-il un avenir pour l’homme féministe ?
Un besoin de roles models pour l’homme féministe
Il y a une nécessité de créer des espaces d’expression pour les hommes. Nous sommes constamment bombardé·es d’informations sur la violence des hommes, mais où entend-on les récits d’amour des hommes ? L’autrice met le doigt sur quelque chose qu’on ne réalise pas forcément : à quel point les témoignages vulnérables sont rares de la part des hommes…
Or, la représentation d’un sujet influence notre opinion. Nous sommes passé·es du culte de l’homme fort à la Sylvester Stallone dans Rocky Balboa, à la critique de la masculinité toxique à la Alex Garland dans son film Men. Et maintenant, quel est le futur de la masculinité ? Il faut se tourner vers un storytelling qui permet aux hommes féministes d’exprimer leur vérité.
➝ Qu’est-ce que c’est la masculinité patriarcale ?
bell hooks la décrit commele fait d’exercer une domination sur les femmes.
➝ Qu’est-ce qu’une masculinité non patriarcale et un homme féministe ?
L’opposition de la domination est le partenariat. Pour l’existence d’une masculinité féministe, il faut des femmes et des hommes intègres, soit des personnes sachant faire preuve d’autant de tendresse que d’agressivité lorsqu’elles défendent les leurs. Redéfinir la masculinité, c’est retourner aux bases : elle n’est qu’une question biologique, soit une personne avec un pénis. Il s’agit d’aller au-delà de la masculinité perçue comme performance et de la (re)considérer comme un état (des parties génitales).
Pistes d’action pour les femmes
Selon bell hooks, dans La volonté de changer, les femmes utilisent la colère pour éviter de s’engager dans un processus qui les met mal à l’aise : soit la création d’un espace de réconciliation, d’expression des hommes. La colère étant la seule l’émotion socialement acceptée pour les hommes… Le féminisme traditionnel ne reprendrait-il pas les codes du patriarcat ? Remettons en question notre colère : d’où vient-elle ? La peur. Quelles conséquences a-t-elle ? Le rejet des hommes. Qu’est-ce qu’elle apporte à la cause féministe ? Cela reste à voir.
Le patriarcat est une culture dans laquelle nous baignons depuis l’enfance. Nous pouvons nous plaindre des comportements patriarcaux des hommes, mais les femmes sont tout aussi porteuses de ces dits comportements. Elles sont rentrées dans le moule. C’est pourquoi elles doivent se déconstruire pour que la société change. Sommes-nous des accompagnantes quand les hommes manifestent leur volonté de changer ?
Il est nécessaire de se poser ces questions, car pour bell hooks, nous avons besoin des hommes pour changer les choses.
Pistes d’actions pour les hommes
Le bémol de l’histoire : et si les hommes ne font pas le travail ? Ce sont nous les femmes qui vont devoir les guider. Pendant le club de lecture, certaines participantes ont d’ailleurs soulevé la question : combien d’hommes vont vraiment lire ce livre ?
bell hooks, dans son ouvrage La volonté de changer, voudrait convaincre les hommes qu’il est essentiel pour eux de changer. Ne souffrez-vous pas autant que nous de ce patriarcat ? demande-t-elle. On vous promet puissance et pouvoir, mais vous ne ressentez que frustration, séparation, isolement. Vous ne savez pas comment accéder à vos émotions ou comment faire face à votre souffrance. La pression sociale d’agir en “vrai mec” ne vous empêche-t-elle pas d’agir à votre guise et d’être qui vous êtes réellement ?
Réaliser cette transformation est difficile. Cela demande de l’effort, un travail de deuil telle une deuxième naissance. Mais bell hooks le dit clairement : rien ne changera si les hommes ne se regardent pas en face. Les femmes ne peuvent faire le travail à leur place. Et récemment, certains répondent à l’appel.
➝ Le mouvement #MeTooGarçons
La domination ne s’exerce pas seulement sur les femmes, mais aussi les hommes vulnérables. En partageant leurs expériences, ils acceptent de partager leur vulnérabilité et de prendre le risque de perdre cette aura virile.
➝ De nouveaux modèles émergent : Timothée Chalamet, le futur de la masculinité ?
C’est le sujet du livre de la journaliste et spécialiste du genre Aline Laurent-Mayard, Libérés de la masculinité. Alors que nous sommes dans une phase de reconstruction de la masculinité, elle observe que ce jeune acteur illustre une nouvelle façon de vivre la masculinité, loin de l’image du bad boy et brisant les codes esthétiques masculins.
➝ Des témoignages vulnérables voient le jour : Regarder les hommes changer
Écouter la parole des hommes ouvre un nouvel espace de réconciliation, de compassion entre les sexes. Il s’agit de repenser notre façon d’interagir avec les hommes, les attentes qu’on porte à leur égard et de sortir de la lutte féministe du pouvoir.
Quelques pistes de réflexion après la lecture
- Je veux ressentir plus de compassion pour les hommes, essayer de comprendre les mécanismes qui amènent vers la masculinité dite toxique.
- Je cultive une acceptation radicale. On ne peut pas vivre de manière paisible en étant en colère. Parfois, il faut simplement accepter que les hommes fonctionnent à leur propre rythme.
- Je dois me remettre au centre pour être intègre. Dans notre démarche féministe, il faut accepter d’être responsables de nous-mêmes et des autres.
- Je veux commencer à changer les choses par le bout de l’intime. On a plus de marge de manœuvre dans la sphère intime qu’ailleurs. En tant que femmes, il n’est pas tant question de ce qu’on peut faire, mais de se regarder soi-même. À quel moment je suis patriarcale ?
Notre prochain book club sera dédié au livre de Frank Lao, Décolonisons-nous. C’est une analyse rigoureuse, documentée et incarnée de la manière dont l’héritage colonial continue à imprégner notre imaginaire collectif, par le créateur du célèbre compte Instagram @Décolonisonsnous.
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