Dans les sociétés à travers le monde, les inégalités économiques persistent comme l’une des principales sources de déséquilibre social. Parmi ces disparités, les écarts de richesse entre les hommes et les femmes occupent une place significative et sont souvent sous-estimés. Biais de genre, accès à l’emploi ou à la propriété, parentalité… Ce sont autant de facteurs qui contribuent à perpétuer ces inégalités de manière systémique.
On abordera dans cet article certains facteurs qui contribuent à la vulnérabilité économique des femmes, en France et dans le monde, ainsi que les conséquences qu’elles peuvent avoir.
La vulnérabilité économique des femmes en France : quels facteurs ?
Les différences de rémunération
En 2021, le niveau de salaire des femmes, à poste égal et à temps de travail égal est de 4 %. “Que” de 4 %, pourriez-vous me dire. À poste égal et à temps de travail égal. C’est oublier que les femmes sont sous-représentées dans certains secteurs d’activité ou certaines professions plus rémunératrices (en ingénierie par exemple). Ou la possibilité qu’ont les hommes de faire plus d’heures supplémentaires rémunérées que les femmes (si l’on considère les mécanismes développés dans l’article).
Dans les faits, la rémunération nette effective des femmes est inférieure de 24,4 % à celle des hommes. Et si l’on gomme les effets du temps partiel et des heures supplémentaires rémunérées, les hommes gagnent encore 17 % de plus que les femmes.
L’écart se creuse de plus avec l’âge : s’il est de 4,6 % à l’âge de 25 ans, il atteint 27,5 % chez les 60 ans et plus.
Enfin, plus on grimpe les échelons, plus les écarts se creusent : ainsi, les femmes employées gagnent 5 % de moins que leurs homologues masculins, tandis que chez les cadres supérieurs, leur salaire est 16 % inférieur (soit un manque à gagner de près de 800 € par mois !).
Si on observe une amélioration progressive, celle-ci est tellement lente qu’à ce rythme, l’écart ne disparaîtra pas avant… 2104 !
La double journée des femmes, ou le travail non-rémunéré
Et les tâches ménagères, dans tout ça ? Sans surprise, les femmes prennent en charge beaucoup plus de tâches domestiques que leur conjoint. D’après l’Observatoire de la Charge Mentale (étude IFOP pour Consolab, 2019), les françaises sont 73 % à en faire beaucoup plus que leur conjoint. Les hommes prennent plus facilement en charge certaines besognes : sortir les poubelles, faire les courses, cuisiner ou encore faire la vaisselle. Pour d’autres en revanche, l’homme ne s’en occupe majoritairement jamais. C’est le cas par exemple du repassage, des poussières ou du nettoyage des sanitaires.
L’Observatoire des Inégalités nous apprend entre autres que les femmes consacrent 3h par jour aux tâches domestiques, contre 1h45 pour les hommes. Si ce temps a tendance à diminuer pour les femmes, il n’augmente en revanche pas pour les hommes.
Les enfants et la réduction du temps de travail
À l’arrivée du premier enfant, ce sont souvent les femmes qui réduisent leur temps de travail. Bien qu’elle puisse être choisie comme subie, cette réduction découle bien souvent des mécanismes liés à la rémunération des femmes. Avec une base salariale inférieure à celle de leur conjoint, ce sont souvent les femmes qui stoppent ou diminuent leur activité professionnelle à l’arrivée d’un premier enfant. Ce temps de travail diminue encore avec l’arrivée des enfants suivants.
Lorsque l’on s’intéresse au congé parental, sans surprise, c’est là encore les femmes qui le prennent en majorité. 14 % des mères s’arrêtent de travailler pour s’occuper de leur enfant, là où seulement 0,8 % des hommes choisissent le congé parental.
Et là encore, les biais de genre sont bien là. Certains hommes qui ont pensé à prendre un congé parental en ont été dissuadés par leur hiérarchie.
En majorité, les parents prennent un congé parental pour consacrer du temps à l’éducation de leur progéniture. Mais il y a aussi une question économique : sont cités les modes de garde trop chers, l’incompatibilité avec les horaires de travail ou encore le manque de solutions de garde.
La charge mentale liée à la parentalité, facteur de situation financière précaire pour les femmes
Souvent, la notion de charge mentale explose après l’arrivée d’un premier enfant. S’ensuit un milliard de choses à penser, à réfléchir, à anticiper. Les vêtements de bébé en fonction de la température intérieure comme extérieure. La pression de l’allaitement. Les dizaines de rendez-vous médicaux la première année, et les années suivantes. La taille des tétines. Penser à racheter du lait en poudre. Les horaires des dodos. La diversification alimentaire. L’éveil et les jeux adaptés. La recherche d’une crèche ou d’un·e assistant·e maternel·le. Les vaccins obligatoires, les vaccins facultatifs. Penser à racheter des couches. La CAF et Pajemploi. L’organisation pendant les vacances. Les congés de la nounou, les absences de la nounou, les remplacements. Les inscriptions à l’école. L’apprentissage de la propreté… Tout ça dans un contexte de manque de sommeil flagrant les premiers mois.
C’est littéralement un tourbillon de corvées qui s’ajoutent à l’entretien du foyer.
Et c’est là que l’écart se creuse encore. C’est très souvent la mère, dont le cerveau est en ébullition à chaque instant, qui prend en charge ces tâches. Tout ce temps passé à la gestion du foyer ou au soin de l’enfant n’est pas rémunéré.
Résultat ? Les femmes passent en moyenne 93 minutes par jour à s’occuper de leur enfant, contre 44 chez le père. Une proportion exacerbée pendant les jours de la semaine (107 min pour les femmes vs 40 pour les hommes), en comparaison avec le week-end.
Et si la volonté de reprendre une activité rémunérée est bien là, la fatigue permanente vient souvent dissuader ces ambitions.
La famille monoparentale
Qu’en est-il des familles monoparentales ? Dans 85% des cas, c’est la mère qui a la garde de son ou ses enfants. Les parents solos doivent souvent assumer l’ensemble des tâches liées à l’organisation du foyer, et sont seuls à gérer les imprévus (enfant malade par exemple). Iels doivent aussi s’organiser pour le périscolaire, qui est payant. Sauf que c’est difficilement compatible avec un emploi à temps plein, d’autant plus si les entreprises ne sont pas conciliantes. Heureusement, l’avènement du télétravail a permis d’améliorer certains situations, mais encore aujourd’hui, 15 % des mères solos sont au chômage (soit 2 fois plus que les mères en couples). Et plus de 30% des mères solos vivent en dessous du seuil de pauvreté (soit 1063 € par mois). Et la pension alimentaire me direz-vous ? Elle est là pour ça, non ? Eh bien dans 30 % des cas, celle-ci n’est pas payée. Ainsi, une mère célibataire voit son niveau de vie réduit de 20 % après une séparation.
L’accès à la propriété : des écarts qui se creusent
Sans surprise, avec un salaire en moyenne inférieur à celui des hommes, les femmes ont un pouvoir d’achat inférieur de 4 %.
Et quand elles accèdent à la propriété seule, elles le font plus tard que les hommes (41 ans en moyenne contre 37 ans). La capacité d’emprunt est plus faible et la durée de remboursement plus longue. La constitutiuon de son patrimoine est de fait plus lente.
Sans compter le nombre de fois où l’on se heurte à des réflexions sexistes, au moment d’acheter un bien. Pas de source officielle cette fois, mais juste de (trop) nombreuses expériences vécues par mes amies et connaissances.
Ça va du simple « et votre mari, il achète avec vous ? » sans connaître notre situation matrimoniale, au « mais vous avez besoin de si grand, si vous êtes célibataire sans enfant ? », en passant par « mais vous êtes sûre de vouloir acheter seule ? Vous ne voulez pas attendre de trouver quelqu’un ? », « fais attention, un bien immobilier, c’est de l’entretien, tu vas pouvoir t’en occuper ? » ou encore « mais pourquoi vous achetez seule alors que vous êtes en couple ? » Fatigue puissance 12.
De manière générale, les hommes ont un patrimoine supérieur de 15 % aux femmes. L’écart est d’autant plus important lorsque l’on s’intéresse aux types d’investissement : 4 % au niveau de l’immobilier, et jusqu’à 37 % en termes d’actifs financiers.
Et ça commence dès l’enfance. D’après le baromètre ViveS Media, les garçons entre 10 et 12 ans sont 48 % à recevoir de l’argent de poche. Les filles du même âge sont seulement 40 % !
Les couples homosexuels, plus sereins ?
Même si très peu d’études existent pour le moment sur le sujet, il semblerait que la répartition s’effectue mieux chez les couples homosexuels. Ainsi, une étude du Families and Work Institute nous montre que 74 % des couples homosexuels partagent équitablement les tâches, contre 38 % des couples hétéros.
La chercheuse Abbie Goldberg, autrice de l’essai « Lesbian and Gay Parents and Their Children : Research on the Family Life Cycle » qui étudie la parentalité chez les couples LGBTQ+, nuance néanmoins certains faits. L’arrivée d’un enfant augmente les inégalités, comme dans les couples hétéros : la personne qui gagne le plus dans le couple a tendance à moins s’occuper des tâches liées aux enfants. Et dans les couples lesbiens, l’étude de l’autrice démontre que les mères biologiques ont souvent tendance à en faire davantage que la seconde maman.
Des mécanismes identiques voire amplifiés dans le monde
Si les données ci-dessous concernent principalement la France, on observe des mécanismes similaires dans le monde occidental. Et le phénomène est largement exacerbé parmi les populations du Sud global. Un rapport Oxfam nous indique notamment que 75% des femmes dans les pays en développement occupent un emploi dans les secteurs informels. Cela implique notamment un accès moindre à la protection sociale et au droit du travail. Ces emplois sont plus précaires et moins rémunérés, renforçant les inégalités hommes-femmes. Du côté du travail domestique, même son de cloche : les femmes réalisent entre 2 et 10 fois plus de tâches à la maison que leur conjoint masculin. Au total, à l’échelle d’une vie, c’est 4 années de travail en plus (non rémunérées évidemment).
L’agriculture est un exemple parlant : selon les zones d’Asie et d’Afrique sub-saharienne, les femmes sont responsables de 60 à 80 % de la production agricole. Pour autant, elles sont moins de 20 % à être propriétaires de leur terre. Au Kenya, des lois coutumières, discriminatoires envers les femmes, régissent encore 65 % des terres. Celles-ci doivent entre autres accéder à la propriété foncière par l’intermédiaire de leur mari ou de leur fils.
Dans plusieurs pays, les femmes doivent encore obtenir l’autorisation d’un homme pour prétendre à un prêt bancaire. Un rapport Banque Mondiale/IFC de 2013 nous indique qu’il y a 10 ans encore, il y avait 15 pays dans le monde où les hommes peuvent s’opposer à ce que leurs femmes travaillent. Certains pays au Moyen-Orient, d’autres en Afrique, et même en Amérique du Sud (Bolivie). Si la situation s’est améliorée depuis 2013, la précarité des femmes est encore une réalité.
L’Institut du Genre en géopolitique nous explique qu’en cas de famines, les filles sont nourries en dernier. Elles sont souvent obligées de se prostituer pour survivre, avec des risques de grossesses non désirées ou de MST. Or ce sont des pays où les services de santé sont souvent délaissés par les autorités.
La lumière au bout du tunnel ?
Les conséquences de la précarité chez les femmes dans les pays du Sud global sont donc bien plus importantes que chez nous. Des disparités structurelles qui tendent à s’effacer dans les pays occidentaux, mais dont l’héritage est encore bien présent, parfois inconsciemment.
Pour autant, on observe des initiatives qui permettent d’entrevoir des solutions pour agir contre la précarité des femmes.
Bien évidemment, l’accès à l’éducation des filles est un des facteurs majeurs qui influencerait une amélioration sensible de la condition économique des femmes dans le monde.
Selon Oxfam, l’atteinte de l’égalité économique pour les femmes réduirait la pauvreté pour tous. En exemple, l’Amérique Latine dont l’augmentation du travail rémunéré chez les femmes entre 2000 et 2010 est responsable de 30% de la réduction de la pauvreté. Rien que ça !
Le World Economic Forum nous apprend également que si les femmes avait le même accès aux ressources productives que les hommes en agriculture, le rendement des fermes serait de 20 à 30 % supérieurs. Cela contribuerait ainsi à réduire la faim de 17 % dans le monde. Je vous invite à lire l’article d’Alexia Dréau sur les femmes au cœur de l’impact : elle y aborde notamment les effets positifs du leadership féminin dans l’impact.
Enfin, en France et en Europe, plusieurs études ont prouvé les bienfaits d’une égalité salariale entre femmes et hommes : la Fondation Concorde a notamment estimé que les écarts de salaires entre femmes et hommes représentaient un manque à gagner de 62 milliards d’euros pour l’État. De là à voir si ces gains potentiels seraient bien utilisés et redistribués, c’est une autre histoire. Mais économiquement, les bénéfices seraient là. Quant aux bienfaits d’une meilleure répartition de la gestion du foyer, pas besoin d’une étude pour évaluer l’impact positif d’une charge mentale diminuée pour la femme.
Cet article fait partie d’une série dédiée à la finance éthique et à l’investissement éthique féminin. Il était donc essentiel de poser les bases, notamment sur les causes de la vulnérabilité économique des femmes. Les effets y sont exacerbés dans certaines régions du monde, même si les mécanismes qui mènent à ces résultats sont les mêmes : le capitalisme (l’exploitation du vivant) et le patriarcat (l’exploitation de la femme). On abordera très bientôt les comportements des femmes vis-à-vis de l’investissement et de l’entrepreneuriat, et on s’intéressera à la finance éthique et à l’empouvoirement économique des femmes. Vous ne voulez rien manquer ? Inscrivez-vous à la newsletter des Impactrices !