Souba Manoharane-Brunel

Transition Écologique | S’engager et Préserver son Équilibre

Souvent, quand on cherche à s’engager pour le climat ou pour la transition écologique, on découvre le monde de l’activisme et du militantisme, des collectifs et du passage à l’action. C’est le cas de Souba Manoharane-Brunel, co-fondatrice des Impactrices, qui après une série de déclics sur le climat, le féminisme et la justice sociale, a complètement réorganisé son parcours de vie. En avril 2021, elle s’est confiée au micro de Ruth Manou, coach de vie pour mères surchargées, et créatrice du podcast Les Jongleuses (liens disponibles à la fin de cet article). Souba, entrepreneuse et militante aux multiples casquettes, y explique comment elle a réussi à trouver un équilibre et à préserver sa santé mentale, tout en s’engageant pleinement pour la transition écologique.

Le parcours de Souba Manoharane-Brunel : d’une série de déclics au passage à l’action

Une conscience écologique imprégnée

Revenons d’abord très rapidement sur son parcours : Souba est maman d’un petit garçon. Elle est l’ex-directrice RSE d’une multinationale. Suite à un burnout, elle quitte le monde de l’entreprise pour devenir entrepreneuse engagée et activiste climat. Elle co-fonde ensuite l’association Les Impactrices pour favoriser la place des femmes dans l’action climat, ainsi qu’une société d’investissement privée spécialisée dans la transition écologique, énergétique et sociétale. Militante, elle s’engage au sein de collectifs, pour informer, libérer la parole, agir et contribuer à organiser la convergence des luttes.

Objectif : relever le défi climat en moins de dix ans. Elle fait d’ailleurs partie de la liste des dix militantes de la génération climat à suivre en 2021 d’après les Inrocks.

Sa conscience écologique ? Elle a toujours été présente, même sans avoir les mots pour l’expliquer. D’origine indienne, son environnement familial a aussi favorisé certaines approches qui entrent dans le concept d’écologie, mais qu’elle qualifie de « bon sens ». Le fait de manger végétarien / vegan par exemple, très ancré dans l’hindouisme. De transmettre les vêtements à toute la fratrie. Ou encore de ne pas être dans la surconsommation.

La course au capitalisme ? Le premier déclic d’une longe série

Mais c’est surtout en école de commerce qu’elle a le déclic et se dirige ensuite vers le développement durable. Pendant un exercice de groupe où chaque groupe représentait une entreprise, la mission consistait à faire grandir son activité. Au tableau, une mappemonde affichait le prix des matières premières et les coûts de fabrication dans chaque pays. Pendant que tous les autres élèves s’affairaient à réduire leurs coûts pour le meilleur rendement, Souba se sentait décontenancée : des pièces rapportées de tout le globe, les déchets engendrés, les méthodes de fabrication… Rien d’autre que le profit n’était pris en compte.

En tous cas, pendant qu’on faisait ce jeu, moi j’étais dans la sidération, je ne jouais même pas. J’étais complètement silencieuse, je ne comprenais pas trop ce qui se passait, j’avais un peu mal au ventre – pour moi ce n’était pas normal. Et ça n’avait pas de sens, ça n’avait pas de logique et ce n’était pas juste. Peut-être que, encore une fois, j’étais une des seules personnes racisées et peut-être que c’est pour ça que ça me parlait plus à moi ce malaise. C’était comme si en face de moi, à l’échelle d’une petite classe d’école, se déroulait ce qui se passe dans la vraie vie, dans le monde, tous ces systèmes-là. Personne n’avait l’air de se poser de questions, tout le monde était occupé à littéralement exploiter le vivant, la planète, les ressources naturelles pour faire leurs produits… pour une bonne note.

Souba Manoharane-Brunel

Heureusement, un autre projet est arrivé par la suite sur le thème du développement durable, qui a transformé la manière de penser de Souba et a donné un sens à ce qu’elle faisait. Elle passera ensuite 14 ans dans une grande entreprise, inventant son rôle au fur et à mesure jusqu’à devenir directrice RSE. En 2017, Souba se sent obligée de cautionner des process avec lesquelles elle n’est pas alignée. À son retour de congé maternité, elle est rétrogradée et subit encore des pressions. Résultat : un burnout !

Comment s’engager dans la transition tout en gardant son équilibre ?

Après avoir touché le fond et vécu une période très difficile, Souba réussit à remonter la pente. Depuis, chaque nouvelle étape donne vie à un nouveau projet et une nouvelle facette de sa vie. Bien sûr, son parcours est unique et personnel mais il peut en inspirer d’autres… Voici quelques conseils :

1- Seule l’action permet de sortir de l’inaction 🙂

Le cas de Souba est extrême : pour elle, l’action et l’engagement lui ont permis de guérir de son burnout. On peut aussi en tirer quelque chose : la majorité d’entre nous peuvent se sentir impuissant.es face au défi climat, et au déluge d’informations auxquelles on a accès.

Pendant son burnout, elle rencontre Clotilde, qui deviendra son associée. Ensemble, ensemble elles co-fondent Les Impactrices. Pour Souba, c’est comme un come-back face au sexisme et à la sous-représentation qu’elle a subit en tant que femme racisée dans le monde de l’entreprise :

L’émergence des Impactrices, c’était un lien direct avec ce qui s’était passé dans ma propre boîte. Pour moi c’était clairement ma béquille, ça m’a permis de me relever du burnout car j’étais vraiment au fond du trou. La création de cette association, les enjeux de la place des femmes dans le défi climat pour que l’action climatique soit inclusive, ça me parlait et ça m’a permis de me guérir : j’avais un projet.

Ses autres projets ont éclos suite à un sentiment d’inaction :

Si je résumais mon parcours : je suis dans l’action, donc je crée un projet à chaque déclic.

En 2017, pendant son congé maternité elle se plonge dans les rapports du GIEC et remonte jusqu’à celui de 1972 (rapport Meadows). Cela lui fait comprendre la véritable urgence climat. Elle décide, au lieu d’investir dans l’immobilier parisien, de mettre ses économies dans un nouveau projet avec son mari : une société d’investissement pour financer des projets à impact.

En 2018, son déclic féministe / éco-féministe lui permet de créer Les Impactrices. Puis en 2019, post-burnout elle se met complètement à son compte et devient consultante RSE.

2- S’informer autrement et de manière diversifiée

Pour Souba, il est important de s’informer de façon diversifiée pour ne pas s’enfermer dans un même schéma de pensée, dans un même monde.

Cela se manifeste par les sources d’informations que l’on suit (les médias mainstream mais aussi tout un éventail d’autres types de médias, plus indépendants). Et pour la cofondatrice des Impactrices, cela se manifeste aussi sur le terrain, via son activisme. Cela lui permet d’être physiquement là où les luttes commencent, de rencontrer des profils divers et d’être témoin de l’expérience des personnes impactées par le dérèglement climatique et les injustices sociales.

Si je devais résumer mon engagement militant, c’est vraiment de faire partie de tous ces collectifs, sur le terrain, sur les réseaux sociaux. Ça permet d’accélérer la prise de conscience et rendre accessible les informations – surtout aux premières personnes concernées (personnes racisées, personnes précarisées) qu’on ne voit pas dans la sphère publique, politique, médiatique, ou décisionnelle aussi. On ne les voit pas, et pourtant ce sont et ce seront les premières impactées par le dérèglement climatique.

Souba Manoharane-Brunel

3- Avoir des garde-fous pour ne pas se perdre

Souba Manoharane-Brunel anime une table ronde au Printemps des Impactrices

Crédit photo : Audrey Bourdier

Même dans le militantisme, le burnout existe ! Il faut savoir se préserver et pour cela, se connaître et connaître ses limites est clé pour garder son équilibre mental.

Le burnout militant existe, pour le voir avec les personnes qui m’entourent dans l’activisme et le militantisme. Par exemple une heure dans l’activisme sur certains sujets ou certaines activités, par exemple des groupes de parole avec des personnes qui témoignent de leur vie, de leur expérience… c’est drainant émotionnellement, physiquement, énergétiquement. Donc une heure de cet activisme là, ça n’équivaut pas à une heure de fichier Excel. C’est des choses en fait qu’on apprend, et donc l’équilibre ça s’apprend comme ça.

Souba Manoharane-Brunel

Ce sont des sujets extrêmement durs et graves, d’autant plus quand on doit faire face à l’écolo-bashing. On ressent souvent du mal à déconnecter, et même de la culpabilité. Souba jongle avec pleins de balles qui représentent différentes sphères de sa vie – l’activisme, le professionnel et le privé. C’est nécessaire pour préserver son équilibre dans la transition écologique. Même si jongler avec ces trois sphères l’épanouit, elle reste très consciente du travail de funambule qu’elle fait, et n’hésite pas à mettre une des deux premières sphères de côté quand elle se sent submergée :

Les garde-fous c’est vraiment s’écouter, ralentir, s’arrêter s’il le faut. Et qu’en fait ça déjà, on continue à se connaître, du coup on voit nos limites. Donc je dois délaisser des balles parfois pour avoir cet équilibre et c’est le plus dur mais je le fais.

Les personnes qui nous entourent aussi peuvent être nos garde-fous, quand d’une certaine manière i.els nous permettent de vraiment prioriser ce qui est important. Pour Souba, c’est son mari qui l’aide à déconnecter mais aussi c’est son fils. Le jour où elle a dû engager une personne pour aller chercher son fils à l’école, pour qu’elle puisse compléter tous ses projets, a été le déclic :

Et là c’est un peu le déclic en disant mais attends, je me bats pour un monde vivable pour mon fils, mais là je ne profite pas de mon fils.

4- Être authentique (et accepter ses émotions et sa colère)

Pour Souba, la colère et l’indignation que l’on ressent face aux défis et aux injustices sont, non seulement justifiées, mais sont surtout le moteur de l’action. Pour elle, il faut apprendre à accueillir ces émotions, pour pouvoir les transformer en catalyseur.

La colère est légitime – qu’elle soit dans le féminisme, l’antiracisme. Nous, on est dans l’intersection des deux en tant que femmes racisées. Clairement moi j’ai un rapport avec ma colère qui fait que déjà je l’accueille, je me donne le droit de l’exprimer, parce que d’une, elle est légitime ; et de deux, c’est mon moteur, la colère et l’indignation c’est le moteur de l’action, en fait.

Ses vœux pour l’année 2021 étaient d’être authentique : de dire les choses qui l’indignent, qui la mettent en colère, de surmonter sa peur d’être vue négativement par les autres. Au final, c’est cet alignement avec soi et avec ses valeurs qui rapprochent les autres de nous.

Ça fait depuis quelques années que j’ouvre ma bouche parce que je suis indignée, je suis en colère, et en fait au départ j’avais peur. Mais ensuite je me suis dit : on va m’aimer pour ce que je suis en vrai, dans ma complexité et dans mon expérience de vie. On va me connaître pour ce que je suis en vrai, donc ça vaut le coup, mais en plus de ça je le fais pour mon fils encore une fois. Parce que cette colère-là, cette indignation peut provoquer aussi des déclics.

5- Mettre les mots sur les maux

Toutes les micro-agressions qu’a subi Souba ont ressurgi au cours de sa réflexion antiraciste et décoloniale. Cela lui a permis de mettre des mots sur ces expériences, d’être plus pertinente dans ses explications, précise dans ses propos…

C’est à partir de ce moment-là que les disputes ont commencé à se transformer en véritable débat. Et même s’il n’y a pas de débat quand une personne concernée prend la parole, c’est important d’avoir de l’empathie pour comprendre les réactions de l’autre.

Pour Souba aussi, une manière de préserver sa santé mentale est de choisir de faire ou non un travail de pédagogie. Elle se concentre sur sa sphère privée : ses parents, sa belle-famille. Mais consent que ce n’est pas le devoir des personnes racisées et concernées d’éduquer les autres :

Parce que déjà on le subit, donc on ne va pas aussi éduquer les gens. Parce que des personnes racisées aussi ont intériorisé beaucoup de choses et doivent sortir aussi de l’assimilation.

Un parcours inspirant qui, comme le dirait Souba, nous prouve qu’Impossible n’est pas Féminin ! Au sein de l’équipe des Impactrices, l’équilibre est une des composantes les plus importantes. Ce n’est pas facile tous les jours, mais il faut aussi savoir se préserver. C’est comme ça qu’on peut avancer durablement dans le Défi Climat. Et vous, pour allier engagement et équilibre, quels moyens et outils utilisez-vous ?

Pour aller plus loin

Retrouvez les épisodes du podcast Les Jongleuses avec Souba par ici 👇

Et bien sûr, tous les épisodes du podcast et l’univers de Ruth Manou sur le site Les Jongleuses

Les ressources de Souba

  • Rapports du Giec et Meadows
  • Climate justice: A man-made problem with a feminist solution, de Mary Robinson (2018) qui met en lumière des histoires de force, d’ingéniosité et de progrès dans la lutte contre le changement climatique.

NDLR : le livre de Mary Robinson, initialement sous-titré « a man-made problem with a feminist solution », a été réédité avec un sous-titre plus grand public : « Hope, Resilience, and the Fight for a Sustainable Future », avec une nouvelle couverture. La version originale comme la réédition sont introuvables aujourd’hui sur la plupart des sites de librairie en ligne français. On ne sait pas non plus si le contenu est similaire ou a été adapté. Dans le doute, et pour éviter de pointer vers Amazon, on préfère ne pas mettre de lien sur l’ouvrage.

Crédit photo principale : Charlène Yves