mouvement justice sociale et environnementale

Entre Justice Sociale et Environnementale, une Transition Écologique Juste

Être écolo sans justice sociale ? Pour comprendre la crise écologique, il faut aborder la justice sociale et environnementale ensemble.

Peut-on être écolo sans féminisme, sans anti-racisme et sans justice sociale ? Chez les Impactrices, on sait bien que la réponse est non.

Il n’est pas rare d’entendre parler de justice sociale et environnementale de manière séparée, mais elles sont intimement liées. Nous devons les envisager ensemble pour répondre au dérèglement climatique de manière juste.

Pour comprendre le contexte de la crise écologique, il nous faut aborder l’intersectionnalité de la justice sociale et environnementale. Pourquoi les plus démunis sont-ils toujours les plus touchés par les problèmes environnementaux ? En quoi le social doit-il être le pilier d’une transition écologique oeuvrant pour un climat plus juste, inclusif et innovant ?

Justice sociale et environnementale : pourquoi sont-elles liées ?

L’humain et la nature : une dichotomie qui n’a plus lieu d’être

Quel rapport entretenons-nous avec la nature ? C’est une question qui a fait l’objet de nombreuses interrogations de la part des philosophes et anthropologues. L’idée selon laquelle nous serions séparés de notre environnement (la fameuse opposition Homme et nature) est une perspective encore très ancrée dans nos croyances.

La prépondérance du terme “désastre naturel” en est l’exemple par excellence. Incendies, ouragans, inondations… Tandis que ces phénomènes sont souvent décrits comme des désastres naturels, ils sont en fait des catastrophes naturelles d’origine anthropique (c’est-à-dire issue des activités humaines), explique Elizabeth Kolbert dans un article pour le National Geographic.

Au fil des siècles, les humains ont maîtrisé et modelé les espaces dits naturels, changeant irrémédiablement l’histoire de la Terre. Nous sommes passés de l’Holocène à l’Anthropocène – la période géologique actuelle où les activités humaines ont des répercussions sur les écosystèmes de la planète. En conséquence, ces derniers sont transformés à jamais.

“C’est dans les glaces [de ces contrées polaires longtemps oubliées de la civilisation] que la science a trouvé la preuve irréfutable que l’homme avait pris le pas sur les cycles naturels et avait – dans sa course-poursuite vers le progrès – déréglé le monde,” écrivent Claude Lorius et Laurent Carpentier dans Voyage dans l’Anthropocène.

Concernant la crise climatique, il est encore commun d’espérer répondre aux catastrophes environnementales par l’innovation et les avancées technologiques. Malgré le fait que les problèmes climatiques soient souvent perçus comme externes, ses causes sont en fait internes, étroitement liées au fonctionnement des sociétés humaines.

Ainsi, l’homme est indéniablement façonné par son environnement ; et l’environnement, par l’homme.

À la racine des concepts de justice sociale et environnementale

La justice sociale est le principe qui vise à assurer l’égalité des droits de tous pour permettre une distribution juste et équitable des richesses entre les individus de la société. Son but ? L’éradication des inégalités.

Elle nous fait réfléchir sur ce qui est juste, et ce qui ne l’est pas. La justice sociale met ainsi en lumière les questions de discrimination, qu’elles soient de genre, de religion, d’orientation sexuelle, etc.

Pourquoi la justice sociale serait-elle connectée à l’environnement ? Parce qu’elle inclut aussi le droit de tous à l’accès à un environnement sain.

Pour rappel, l’environnement désigne l’ensemble des éléments qui constituent l’entourage avec lequel un être vivant (humain, animal ou végétal) interagit. Depuis plusieurs décennies, ce terme est notamment utilisé pour parler du contexte écologique global, incluant donc l’air, la terre, l’eau, les ressources naturelles, la flore, la faune, les humains et la manière dont ces éléments interagissent entre eux.

Dans ce contexte, la justice environnementale concerne les droits et devoirs de tout un chacun sur et envers la nature.

Ensemble, les mouvements de justice sociale et environnementale attirent l’attention sur la nécessité d’un juste équilibre entre les bénéfices environnementaux (accès aux espaces verts, à de l’eau propre, de l’air sain, etc.) et les désavantages (bruit, circulation, pollution de l’air et de l’eau, etc.).

Le concept de justice environnementale commence à être utilisé aux États-Unis dans les années 80, à une époque où l’on prend progressivement conscience que les plus démunis sont les plus touchés par les catastrophes écologiques.

Ici, la question du pouvoir est centrale : qui cause les désagréments environnementaux, et qui en souffre les conséquences ? La justice environnementale se trouve à l’intersection entre les droits des Hommes et la protection de la nature, centrée sur la notion de responsabilité.

Pour comprendre le monde actuel et la crise climatique, il est indispensable de rapprocher l’humain et la nature, la justice sociale et environnementale. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) affirme d’ailleurs que pour se diriger vers une transition écologique juste, il faut traiter les questions de lutte contre la pauvreté, d’égalité hommes-femmes et d’environnement de façon croisée, et non plus séparément.

Pourquoi la crise écologique touche-t-elle particulièrement les communautés les plus vulnérables ?

Justice sociale et environnementale, deux facettes d’une même crise

Depuis plus d’un siècle, les inégalités entre les pays diminuent progressivement. Toutefois, les inégalités entre les citoyens d’un même pays s’accentuent, notamment en Europe depuis les années 80.

Selon les données de l’INSEE, 9,2 millions de Français vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, soit 1,4 million de personnes de plus qu’au début du siècle. Ces individus sont les plus touchés par les catastrophes environnementales.

En Europe, les communautés les plus démunies font face à la précarité énergétique, sont plus exposées aux polluants et aux nuisances tels que le bruit, la pollution, les déchets, etc. En France, par exemple, Saint-Denis est la commune qui relève les taux de pollution et de pauvreté les plus élevés du pays.

Une discrimination territoriale qui n’est pas forcément due au hasard. La ville dispose en effet d’un taux élevé de habitations à loyer modéré. Les quartiers populaires sont souvent les premières victimes des désastres écologiques, puisqu’ils profitent peu des politiques publiques s’efforçant à améliorer la qualité de vie des résidents et l’environnement. En plus de cela, leur voix est peu écoutée et entendue.

Au niveau mondial, la gestion globale des déchets reste fermement ancrée dans le colonialisme toxique. En effet, l’écrasante majorité des incinérateurs et des décharges sont localisés à proximité des communautés plus pauvres, racisées ou marginalisées. Les résidents font face au bruit, à la pollution de l’air et de leur voisinage, à l’augmentation de la circulation, aux mauvaises odeurs, et ont plus de risques de développer des maladies cardiaques et respiratoires.

En 2019, l’Union Européenne a exporté une moyenne mensuelle de 150 000 tonnes de déchets plastiques à l’étranger. Les pays dits en développement qui acceptent d’importer ces déchets n’ont bien souvent pas la capacité de traiter la quantité importée. La Malaisie, par exemple, peut en accueillir près de 500 000 tonnes, mais en fait entrer presque le double sur son territoire chaque année.

La gestion des déchets dans le monde est une question de justice sociale, puisqu’elle creuse les inégalités environnementales. Elle pose alors la question de hiérarchie entre les pays et d’exploitation des individus de classe et d’origine différentes.

Qu’est-ce que cela signifie exactement ? Que les crises sociale et environnementale s’alimentent, accroissant les inégalités de toutes parts.

Les plus démunis sont les plus touchés, alors même qu’ils sont les moins responsables des dégâts environnementaux…

Historiquement, ce sont les pays dits développés qui sont majoritairement responsables de la crise environnementale actuelle, qui a débuté avec l’industrialisation de 1850. En bref, ceux qui ne sont pas responsables des problèmes environnementaux sont aussi ceux qui en souffrent le plus.

Pour illustrer ce fait, le cas des émissions CO2 est assez parlant. Un rapport du Laboratoire sur les inégalités mondiales (LIM) de 2023 révèle que sur les 2453 milliards de tonnes de CO2 émises depuis 1850, l’Amérique du Nord représente 27% des émissions de gaz à effet de serre (GES), l’Europe 22%, tandis que l’Amérique du Sud représente seulement 6% tout comme la région Moyen-Orient et Afrique du Nord.

Au niveau des individus, l’empreinte carbone d’un Européen moyen (9,7 tonnes CO2 par habitant en 2019) est bien supérieure à celle d’un habitant d’Amérique Latine (4,8 tonnes CO2) ou de l’Afrique subsaharienne (1,6 tonne CO2).

En France, 14,6 % d’individus vivent sous le seuil de pauvreté. Ces personnes ne voyagent pas, mangent moins de viande et n’ont pas les moyens de surconsommer. Ils ne sont donc pas les plus responsables des causes anthropiques du changement climatique. Toutefois, ces Français en sont les premières victimes : 11,9 % des ménages sont en situation de précarité énergétique.

Au niveau mondial, c’est le même scénario. Les 10% d’individus les plus riches sont responsables de presque la moitié des émissions de CO2 mondiales annuelles.

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Crédit : Audrey Bourdier, Printemps des Impactrices 2023

Le social, un pilier de la transition écologique

Quand les solutions environnementales sont déconnectées de l’humain…

Bien souvent, les idées proposées pour résoudre certains problèmes écologiques sont déconnectées d’une vision globale de l’environnement, des écosystèmes dont les humains sont seulement une petite partie.

Soyons plus précis. Nous avons un problème d’excès de CO2 dans l’air ? Plantons des millions d’arbres pour séquestrer le carbone et limiter les conséquences du dérèglement climatique.

Cette approche vise à compenser nos émissions carbone, mais elle évite de s’attaquer à la racine du problème tout en promouvant une vision biaisée de l’environnement, et, dans ce cas-ci, de la forêt. Les plantations d’arbres (souvent des monocultures) sont plus vulnérables aux pathogènes et parasites, plus fragiles en cas de violentes tempêtes et augmentent le risque d’incendies.

Et si, au lieu de planter des arbres, nous évitions la déforestation massive, préservions les vieilles forêts qui captent plus de carbone et empêchions l’artificialisation des sols qui fait disparaître la surface d’un département français tous les cinq ans ?

Nous l’aurons compris. Certaines mesures d’adaptation au changement climatique peuvent accroître les problèmes environnementaux, mais aussi les inégalités sociales.

Prenons l’exemple du mouvement des gilets jaunes. Une partie de la population française s’est élevée contre une nouvelle hausse de la taxe carbone qui, selon elle, aggraverait les inégalités en frappant directement le porte-monnaie des citoyens.

Bien que la visée écologique soit positive – celle d’atteindre un jour la neutralité carbone – ce mouvement social démontre une “cassure nette, dans les enquêtes d’opinion, entre ceux qui veulent plus de vert dans leur vie et ceux qui ne parviennent pas à boucler leur fin de mois,” explique le sondeur Brice Teinturier.

Hier, le développement durable. Demain, la transition écologique juste.

Les conversations sur le développement durable omettent parfois la place centrale du social. Mais alors que les conséquences de plus en plus violentes et récurrentes du dérèglement climatique creusent davantage les inégalités, elles contribuent aussi à changer cette tendance.

Pour une transition juste, il s’agit d’avoir une approche globale et de concilier à la fois l’environnement, l’économie, la société et la gouvernance. Surtout, il faut éviter d’alourdir les responsabilités de ceux qui n’ont pas les moyens de choisir ce qui est plus écolo, explique Christina Nirup, responsable de la mission Inclusion et transition écologique auprès de la direction générale déléguée de l’ADEME.

La justice sociale est le pilier d’une transition écologique équitable, pour des raisons éthiques mais aussi d’atteinte d’objectifs.

Prenons l’exemple de l’empreinte carbone. D’ici 2050, l’objectif est de passer de 10 à 2 tonnes d’émissions CO2 par an et par habitant, afin de préserver la vie sur Terre. Pour limiter les émissions de carbone, les nouvelles politiques cherchent à augmenter la fiscalité sur tout ce qui en émet, comme le carburant.

En revanche, ces chiffres représentent une moyenne qui voile les disparités au sein de la population. Les Français qui vivent sous le seuil de pauvreté monétaire – dont nous parlions précédemment – ne participent pas à la surconsommation majoritairement responsable des causes anthropiques du changement climatique.

Cela signifie que les nouvelles politiques censées nous faire avancer vers la transition écologique impactent plus fortement le budget des ménages les plus pauvres.

Dans ce cas, comment répondre à ces inégalités tout en adressant l’urgence écologique ? Selon l’ADEME, une transition juste requiert des mesures inclusives et participatives. Les pouvoirs publics doivent considérer la perspective des personnes les plus vulnérables pour nous éclairer sur ce qu’est une transition socialement juste et sur les conditions pour limiter les inégalités.


Quelles pistes d’action ?

S’informer

Selon l’Organisation Internationale du Travail, un meilleur accès des femmes à l’emploi permettrait d’injecter 5800 milliards d’euros dans l’économie mondiale. La justice sociale – soit la réduction des inégalités entre les individus – est un véritable levier pour construire une société plus juste et innovante.

Commencez par vous informer sur l’intersectionnalité entre justice sociale et environnementale et réfléchir sur la notion d’inclusivité, notamment à travers notre média.

Agir individuellement

Il s’agit aujourd’hui d’aller plus loin que le développement durable et de se diriger vers une transition écologique équitable, pour que les plus démunis ne soient pas toujours les plus touchés par les conséquences environnementales de nos modes de vie. Le social doit irrémédiablement être intégré dans les mesures contre la crise climatique, afin de fédérer le mouvement écologique et permettre un futur plus inclusif.

Soyez à l’affût des solutions proposées par les pouvoirs publics : considèrent-ils la perspective des personnes les plus vulnérables ? Se poser cette simple question peut nous éclairer sur ce qu’est une transition socialement juste et sur les conditions pour limiter les inégalités.

Agir collectivement

Soutenez des initiatives reconnaissant l’intersectionnalité de la justice sociale et environnementale. Participez à leurs actions, donnez un peu de votre temps en devenant bénévole ou soutenez les financièrement ; à chacun son niveau !

Inspirer les autres

On sous-estime beaucoup le simple fait de discuter avec nos proches de nos actions individuelles et collectives. Qui sait, cela peut encourager une personne en doute à s’engager plus concrètement !

À Propos de l'auteurice