Neuf français·es sur dix affirment soutenir le mouvement des agriculteur·ices. Comment traduire cela dans la vie de tous les jours ? Dans un article précèdent, nous avons introduit l’importance du concept de souveraineté alimentaire. C’est le droit des peuples de décider de leurs politiques agricoles et alimentaires, sans dumping des pays tiers. Cette question est centrale pour atteindre un système alimentaire et une transition écologique justes. Et si les récentes manifestations des agriculteur·ices nous ont appris une chose, c’est que leur situation nous concerne tous. Mieux encore, nous pouvons agir concrètement. Par où commencer ? Voici 8 pistes d’actions pour soutenir l’agriculture ; et par extension, voter pour la souveraineté alimentaire.
Souveraineté alimentaire : la nécessité d’un changement de perspective du monde
La crise de notre système alimentaire est-elle liée à notre perspective du monde ? Notre relation à l’environnement reflète-t-elle notre relation aux autres ? La crise environnementale exprime-t-elle une crise spirituelle ? Tout cela ne semble pas inconcevable dans un contexte où l’on exploite ceux-là mêmes qui nous nourrissent. Où l’alimentation devient de moins en moins nourrissante. Où les consommateur·ices ne font plus confiance à ce qu’ils ont dans l’assiette. Où l’obésité et la malnutrition sont rampantes. Cette agriculture intensive censée nourrir le monde repose paradoxalement sur l’effondrement de la biodiversité, la pollution des sols et de l’eau.
Que faire lorsque l’agriculture, qui produit quelque d’aussi vital que la nourriture, est devenue un danger pour la vie sur terre ? Selon Loren Cardeli, le fondateur de A Growing Culture, une organisation travaillant pour l’unité du mouvement pour la souveraineté alimentaire, il faudrait s’inspirer de la vision animiste des peuples autochtones. L’animisme est une croyance selon laquelle tout autour de nous a une âme. Ainsi, les éléments naturels – animés et inanimés – comme les roches, les rivières, et les arbres, sont perçus comme des parent·es.
Que retenir de cela ? Qu’il y a une forme de réciprocité dans la nature. Ce dont on prend soin, prend soin de nous en retour. Si nous voulons que les choses changent au niveau systémique, nous pouvons déjà changer notre manière de percevoir ce qui nous entoure. Omniprésente dans notre société, l’exploitation de toute forme de vie doit laisser place au respect, à l’empathie, à la conviction que nous sommes tous et toutes intimement lié·es.
Souveraineté alimentaire : que pouvons-nous faire à l’échelle individuelle ?
1 – Informe-toi sur les problématiques des exploitant·es agricoles
- Participe à une fresque Agri’Alim, un atelier participatif pour comprendre les enjeux de notre modèle agricole et alimentaire. À travers l’intelligence collective de groupe, tu obtiens des clefs pour échanger sur le sujet tout en ayant l’espace d’imaginer des actions à mener aux niveaux individuel et collectif.
- Renseigne-toi sur les pratiques agricoles vertueuses (agriculture régénérative, biologique, biodynamique) en réaction à l’agriculture conventionnelle. En tant que consommateur·ice, tu as le pouvoir de privilégier tel ou tel modèle. Mais aussi de boycotter les autres pour réclamer plus d’éco-responsabilité dans les pratiques agricoles !
- Apprends à travers une expérience à la ferme. Les plateformes Wecandoo, Bienvenue à la ferme et Oh la vache ont toutes un point commun… Elles mettent en contact paysan·nes et grand public pour proposer des expériences uniques à celleux qui veulent apprendre tout en mettant la main à la pâte. Grâce au wwoofing, tu peux même faire du volontariat pendant plusieurs semaines (ou mois !). Dans la même veine, Greenpeace a lancé le programme FarmErasmus en partenariat avec des fermier·ères du monde entier.
2 – Achète en circuit court pour soutenir les agriculteur·ices
Les circuits courts visent à éviter les intermédiaires (par exemple, les hypermarchés), permettant ainsi une meilleure rémunération des agriculteur·ices. Tu peux donc acheter directement (ou presque) aux paysan·nes, tout en consommant local et de saison.
Alors que l’agriculture industrielle se trouve clairement dans une impasse, le modèle coopératif séduit aussi de plus en plus les Européen·nes. Les paysan·es précarisé·es par le mouvement libéral sont tenté·es par un retour aux valeurs communautaires comme nouvelle forme d’économie. Établie en 2013, la coopérative belge Paysans-Artisans s’affiche comme alternative au modèle de production alimentaire industriel, qui propose une nourriture toujours plus aseptisée, sans diversité. Le succès de ces coopératives repose sur une nouvelle relation entre producteur·ice et consommateur·ice, basée sur la transparence, la solidarité, et le gage d’une nourriture de qualité.
Où acheter tes produits ?
- Dans les fermes, les marchés, les points de vente de coopératives, les épiceries locales ou en vrac, les boutiques engagées Biocoop, Naturalia, la Récolte, Miyam.
- Commande des produits directement sur Crowdfarming.
- Soutiens l’une des enseignes qui démocratisent l’accès au bio et au zéro déchet, dont Omie, Greenweez, la Fourche, l’Intendance ou encore PimpUp.
- Inscris toi à une AMAP pour le maintien d’une agriculture paysanne.
3 – Lis les étiquettes des produits que tu achètes
Les labels sont utiles pour comprendre l’origine des produits que tu achètes et s’ils sont issus de l’agriculture bio. En France, il est obligatoire de mentionner l’origine des produits non-transformés (viande, poisson, huile d’olive, fruits et légumes). Toutefois, cela devient plus compliqué pour les produits transformés car les divers ingrédients peuvent provenir de plusieurs pays.
Le label Planet Score facilite l’accès à l’information en précisant le type d’élevage, le taux de pesticides présent dans le produit et le mode d’agriculture. En Belgique, le Collège des producteurs a pris l’initiative d’afficher le label “Prix Juste Producteurs” sur les produits vendus dans les commerces et grandes surfaces. Cela permet aux consommateur·ices de déterminer quels produits contribuent à une rémunération juste des agriculteur·ices et ainsi faire prendre conscience du coût réel de la nourriture.
4 – Accepte de payer le juste prix
Sensibiliser les consommateur·rices sur le coût réel de la nourriture n’est pas une mince affaire… De nos jours, le marché international privilégie les prix au rabais au détriment des humains, des animaux, de l’environnement et des ressources naturelles. On dit que les dépenses sont externalisées, c’est-à-dire que nous payons (souvent sans le savoir) les conséquences de ce système à travers les fonds nécessaires pour la purification de l’eau polluée ou encore le traitement des maladies liées à une mauvaise nutrition. Or, ces problèmes sont des conséquences directes de l’agriculture intensive industrielle, tout comme le déclin de la biodiversité et la dégradation des sols. D’ailleurs, l’ONU rappelle que l’industrie agroalimentaire coûte à l’environnement environ 3 000 milliards de dollars chaque année.
Quelles pistes d’action ?
- Achète directement ta nourriture aux agriculteur·ices plutôt que dans les hypermarchés, qui veulent rester compétitifs tout en se faisant une marge.
- Soutiens l’idée d’un étiquetage clair sur les produits pour savoir dans quelles conditions les légumes importés sont cultivés par rapport aux légumes français.
5 – Contribue à revaloriser les traditions alimentaires et les savoir-faire locaux
Il s’agit de sensibiliser les consommateur·ices à l’intérêt des produits sains et naturels, mais aussi aux savoir-faire typiques de leur région et pays. En protégeant les traditions alimentaires locales, on soutient le gagne-pain des artisan·es et petit·es producteur·ices, tout en valorisant un savoir-faire, une nourriture riche et saine, une agriculture adaptée aux conditions locales, respectueuse de l’environnement, qui valorise les variétés autochtones résistantes aux aléas climatiques, contribuant ainsi à la biodiversité. Enfin, c’est aussi une manière de réduire les émissions de gaz liées au transport de produits venant d’ailleurs !
Appel à l’action : connais-tu les méthodes de fabrication des produits typiques autour de chez toi ? As-tu un moyen de soutenir les artisan·es et producteur·ices dans ta région ?
6 – Célèbre les personnes qui produisent ta nourriture
Notre vision des paysan·nes oscille entre dénigrement et fantasme d’un monde qui disparaît. En France, il y a actuellement 400 000 personnes dont l’activité est dédiée à la terre et à l’élevage. D’ici 2030, la moitié sera à la retraite. Les aîné·es s’inquiètent pour les générations futures. Au vu de leurs dures conditions de travail et la perspective d’un avenir peu réjouissant, comment assurer la relève ?
Les consommateur·ices ont un rôle à jouer. Plus la demande de produits locaux, de saison et de qualité augmentera, plus il y aura d’opportunités pour les jeunes de pérenniser leur exploitation agricole. Mais par-dessus tout, cela passera par la nécessité de valoriser le métier. Célébrons la contribution des paysan·nes, c’est à grâce à ces personnes que l’on mange. Contrairement à ce que l’on pense, ce sont les petites et moyennes exploitations qui produisent la majorité de notre alimentation. Non pas l’agriculture industrielle.
Souveraineté alimentaire : que pouvons-nous faire à l’échelle collective ?
7 – Apporte ton soutien à des initiatives
La Via Campesina, mouvement qui coordonne les organisations des paysan·nes, recommande de s’engager dans des initiatives d’occupations de terres, de production paysanne durable, de défense des semences locales, d’actions contre les OGM et le dumping. En plus de cela, il est nécessaire d’amener ces débats dans l’espace public, les organisations, les gouvernements tout comme les parlements.
- Participe à la journée mondiale des luttes paysannes le 17 avril.
- Facilite l’installation de fermes dans ta région. Beaucoup ont recours au financement participatif pour lancer leur exploitation agricole. En devenant un donateur·ice, tu peux recevoir des contreparties intéressantes comme des paniers de légumes. Cela te permet de promouvoir l’agriculture paysanne tout en faisant tes courses bio… Où soutenir ces initiatives ? Miimosa, Blue Bees, AgriLend, ou via les foncières solidaires comme Fermes en vie.
- Défends l’idée d’une réorientation des investissements en faveur de l’agriculture écologique. Le gouvernement doit accompagner la transition des agriculteur·ices vers une agriculture écologique.
- Soutiens des mouvements comme Terre-en-vue. Leur mission est d’acquérir des terres agricoles à travers l’épargne citoyenne et de les louer à l’agroécologie paysanne. Face à l’agrandissement des exploitations agricoles et à la concentration des terres dans les mains d’une poignée, ce procédé garantit aux petits producteur·ices un accès à la terre, tout en assurant l’avenir écologique de notre alimentation !
8 – Dépasse l’idée qu’il faut choisir entre écologie et bien-être des agriculteur·ices
Au cours des récentes manifestations, les agriculteur·ices ont dénoncé l’agri-bashing. C’est quoi ? Le dénigrement systématique de leur travail dans le contexte d’une prise de conscience de l’impact écologique de l’agriculture conventionnelle. En plus de la difficulté de vivre dignement de leur travail, les mesures écologiques creusent un écart entre les personnes qui pratiquent une agriculture conventionnelle et celles qui défendent l’agriculture biologique. Certain·es dénoncent les mesures écologiques comme ayant un impact négatif sur leur gagne-pain. D’autres voient clairement le manque d’accompagnement des agriculteur·ices dans une transition écologique par le gouvernement.
Dans certains médias, on oppose même systématiquement activistes et agriculteur·ices. Mais peut-on continuer à polluer les sols de pesticides si l’on veut vivre de la terre ? Une transition écologique est-elle possible sans prendre en compte le bien-être des individus qui nous nourrissent ? Évidemment, il n’y a pas de transition écologique sans justice sociale. Le bien de la planète va main dans la main avec l’abondance pour tous les êtres humains.
Exerçons notre esprit critique lorsqu’on entend parler de durabilité dans le système alimentaire mondial. Est-ce qu’on aborde la question du pouvoir et de l’inégalité inhérente à ce système ? Est-ce qu’on parle de démocratiser la production, plutôt que se concentrer sur les aspects écologiques comme les pesticides, les déchets alimentaires, ou encore la qualité du sol ? Passer au bio et à la régénération ne suffit pas si l’exploitation des paysan·nes reste omniprésente. L’écologie ne va pas sans justice sociale. Il faut passer à l’action au niveau systémique, ce qui veut dire abolir l’injustice au sein du système alimentaire mondial.