En 2019, l’urgence environnementale est devenue la première préoccupation des jeunes selon une enquête d’Amnesty International. C’est sans équivoque : le grand public s’y intéresse de plus en plus. Pourtant, elle reste un sujet clivant. Face à l’inaction des uns, les autres radicalisent leurs actions de sensibilisation, allant de la désobéissance civile affichée par certains scientifiques au fameux jeté de purée sur un tableau de Van Gogh. À l’heure où il est essentiel d’agir pour le climat, confusion et inaction nous empêchent d’avancer. Jusqu’où aller pour toucher les gens ? L’immobilisme ambiant refléterait-il un besoin pressant de changer notre manière d’aborder les questions environnementales ? Le grand public manque d’intérêt pour la crise climatique et les mythes récalcitrants autour de l’écologie n’aident en rien à mener un débat constructif. Particulièrement quand l’opinion publique est autant influencée par les médias traditionnels, dont le discours est souvent marqué par une vision caricaturale des activistes. Alors, pourquoi est-il si difficile d’intéresser la population au changement climatique, et comment mieux sensibiliser au climat ?
Le changement climatique, pourquoi tant d’apathie ?
Sensibiliser au climat, au-delà de la science
Permafrost, forçage radiatif, empreinte carbone, gaz à effet de serre… Autant de termes qui n’évoquent rien de concret chez bon nombre d’entre nous. Le changement climatique, est-ce un sujet vraiment accessible à tous ?
Une étude Ipsos montre que 46% des répondants ne connaissent pas bien la signification de gaz à effet de serre, tandis que 55% déclarent ne pas comprendre ce qu’est l’empreinte écologique.
Bien que l’éducation au dérèglement climatique continue d’être négligée, de nombreuses initiatives tentent aujourd’hui de pallier ce manque de ressources en multipliant les actions de sensibilisation.
La Fresque du Climat est née de la volonté de vulgariser le savoir scientifique lié au fonctionnement et à l’amplitude du dérèglement climatique. La vision du créateur ? Pour agir, il faut pouvoir comprendre avant tout.
Alors que la science du climat reste peu engageante pour beaucoup, peut-on sensibiliser au climat efficacement à l’aide seule des données scientifiques ? La gravité et l’urgence du sujet tendent à effrayer le public, contribuant à un sentiment d’impuissance.
C’est pour cela qu’une fresque comporte une partie intellectuelle, durant laquelle les participants doivent reconstituer les liens de cause à effet entre les différentes composantes du changement climatique, suivie d’une partie créative, comportant un échange sur les émotions des participants et les actions possibles, entre autres.
Sensibiliser au climat, c’est plus qu’informer. C’est vouloir provoquer l’intérêt, base nécessaire à l’action.
Climat et impuissance générale : une fatalité ?
La connaissance engendre-t-elle forcément l’action ?
Face à l’urgence et la complexité du climat, un sentiment d’impuissance tend à nous écraser. Comment se sentir concerné par la déforestation amazonienne lorsque nous ne sommes pas directement témoins de cette réalité ? Plus les problématiques sont lointaines, plus elles sont difficiles à intégrer dans nos vies.
Peut-on mettre cela sur le compte de l’éco-anxiété ? Selon l’une des plus grandes enquêtes réalisées sur le sujet, 45% de jeunes (sur un total de 10 000 personnes) déclarent que leur anxiété est à l’origine d’un mal-être identitaire qui impacte leur habilité à affronter la vie quotidienne.
Les chercheurs de l’OFCE observent que le découragement général face aux problématiques environnementales est souvent dû à la croyance selon laquelle les actions individuelles ne peuvent influencer le lot collectif.
Un autre critère influence fortement le manque d’action du grand public : le niveau en général de faible à passable des connaissances de la plupart des Français sur le dérèglement climatique. À cela s’ajoute la désinformation autour des solutions possibles, la méfiance due à l’accroissement du greenwashing, le coût estimé trop élevé des alternatives écoresponsables…
Et si nous étions destinés à l’inaction climatique ?
Notre comportement face au dérèglement climatique est déconcertant. Alors qu’on en parle depuis plus de 30 ans, pourquoi ne fait-on toujours (presque) rien ?
C’est afin de répondre à cette interrogation que l’écopsychologie, l’étude des mécanismes psychologiques humains en réaction à la crise écologique actuelle, a vu le jour.
Sa réponse ? Le cerveau humain est programmé pour penser à notre survie immédiate, et non pas à notre évolution sur le long terme. C’est pourquoi il est si difficile de changer nos habitudes et nos modes de vie !
Voici une des problématiques centrales de la crise climatique. Bien que l’on sache exactement vers quel monde nous nous dirigeons, la cause ne nous touche pas… vraiment. C’est exactement ce à quoi il faut remédier en toute urgence : comment réussir à mobiliser efficacement les individus, et leur donner envie d’agir ?
Aurore Grandin, chercheuse en sciences cognitives à l’Ecole Normale Supérieure, affirme que la solution au dérèglement climatique ne viendra pas forcément des avancées technologiques, mais d’une transformation de nos sociétés et modes de vie, car ses causes sont associées au fonctionnement même des sociétés humaines.
L’écologie aurait-t-elle mauvaise réputation ?
Quand le changement climatique n’est pas pris au sérieux
Bien que les signes du dérèglement climatique se fassent de plus en plus ressentir, les discours niant sa réalité progressent. C’est le climatoscepticisme. Un courant de pensée qui remet en question l’existence du changement climatique et ses conséquences sur la planète, particulièrement son origine humaine.
Même si le phénomène est moins développé en France, le discours climatosceptique est dangereux car il sème le doute chez le grand public. Celui-ci n’a pas toujours les connaissances et le temps nécessaires pour remettre en question les arguments des pseudos-experts.
Malheureusement, les climatosceptiques ont été 49 % plus visibles dans les médias étasuniens que les experts du climat ces dernières années.
Afin d’établir ce fait, des chercheurs ont analysé 100 000 articles de presse papier et Internet en langue anglaise publiés entre 2000 et 2016.
Le problème ? En accordant plus de visibilité aux climatosceptiques qu’aux experts, les médias traditionnels légitiment indirectement leurs discours. Cela exerce une influence considérable sur la représentation de l’importance du dérèglement climatique chez le grand public.
Pour les responsables de l’étude publiée dans Nature Communications, cette inégalité pourrait même expliquer pourquoi la prise de conscience et la mobilisation de la population pour la crise climatique ont été si lentes et laborieuses.
L’écolobashing, un phénomène de société
Dans son rapport annuel, l’ONG Global Witness révèle qu’au moins 200 activistes écologistes sont morts en 2021 en défendant leurs valeurs.
Se battre pour l’environnement, c’est défier les intérêts financiers capitalistes – souvent préférés à la protection de l’humain et de la nature. D’ailleurs, 40% de ces meurtres concernent des personnes issues de communautés autochtones. Des personnes qui s’opposaient à l’exploitation minière et forestière, mais aussi à l’accaparement de leurs terres.
Récemment en France, les militants s’opposant aux méga-bassines ont été taxés d’écoterroristes par le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin. Les opposants à la 5G, quant à eux, ont été comparés à des Amish par Emmanuel Macron.
Vous l’aurez compris, la représentation des activistes est bien souvent caricaturale.
Le fait est que les écolos s’inscrivent naturellement à contre-courant du modèle capitaliste. Ils et elles nous alertent contre l’exploitation du vivant et de la nature, tandis que notre système est bâti sur l’illusion d’abondance illimitée, la satisfaction de nos besoins immédiats.
La lutte écologique incarne une vérité qui effraie, celle que nous allons droit dans le mur. Toutefois, survivre au changement climatique exigera une transformation de nos modes de vie, car, comme le rappelle le climatologue Jean Jouzel :
« Le capitalisme est incompatible avec la lutte contre le réchauffement climatique. »

Crédit photo : Audrey Bourdier. Dessin : Lova Razakalalao @ Le Printemps des Impactrices, 2023.
Vendre à tout prix, ou les conséquences du greenwashing
Au-delà des mythes récalcitrants autour de l’écologie, le phénomène du greenwashing contribue tout aussi bien à décrédibiliser les efforts des acteurs de l’impact.
Pour rappel, le greenwashing est une pratique marketing qui consiste à avoir recours à des arguments environnementaux pour vendre des produits qui ne sont en réalité pas écoresponsables.
Concrètement, ça donne quoi ? Le choix d’un packaging trompeur en utilisant des visuels comme des arbres, la couleur verte ou encore un champ lexical incluant le mot « naturel ».
De plus en plus répandu, le greenwashing mine les efforts des acteurs réellement engagés et sape la confiance des consommateurs. Elle encourage en plus la désinformation sur les questions environnementales.
Évidemment, cela rend la tâche des consommateurs encore plus difficile : comment démêler le vrai du faux ? De nos jours, il faut s’atteler à un véritable travail de recherche pour déceler si une marque est éthique.
Face à cela, des initiatives comme l’association QuotaClimat ont vu le jour pour contribuer à améliorer la représentation médiatique des enjeux écologiques. Selon eux :
« Seuls 11% des Français déclarent se sentir tout à fait informés sur le changement climatique. »
Il est plus que jamais nécessaire de faire évoluer la compréhension des problématiques environnementales. De remettre en cause la communication greenwashing.
Les médias façonnent notre vision du dérèglement climatique
Les écolos, dénigrés par les médias ?
Du côté de la presse, les gros titres s’enchaînent et se surpassent, dénonçant tour à tour « les bouffons du climat », les « écolos radicaux » ou « ultras », voire, pour le Figaro, « la montée des violences de l’écolo gauchisme ».
Pour l’animateur de CNews Pascal Praud, « il existe une pulsion mortifère chez certains écologistes. Mortifère et totalitaire. »
Il n’est pas inhabituel pour certains médias traditionnels d’associer les écolos avec des représentations caricaturales. Être écolo, c’est rejeter toute technologie, refuser la civilisation ou vivre comme les Amish, par exemple.
Même dans un contexte d’urgence écologique, il est encore de coutume d’entendre des propos similaires. C’est le cas notamment sur des médias comme CNews, RTL, LCI, RMC ou encore Le Figaro.
Est-il possible de parler d’écologie sans user de la caricature ?
Comment parle-t-on d’écologie dans les médias ?
Le traitement médiatique de l’écologie peut être analysé avec deux critères : le temps consacré à la crise climatique et la pertinence des informations sur le sujet.
C’est indéniable, on parle de plus en plus de l’environnement dans les grands médias depuis 2015 et la COP21 à Paris.
Toutefois, l’ONG Reporters d’Espoirs indique que les sujets environnementaux abordés ne sont pas contextualisés dans la crise climatique. Par exemple : les inondations et les incendies ne sont pas toujours évoqués comme étant en lien avec le dérèglement climatique. Ils sont plutôt présentés comme des désastres naturels.
De plus, les journalistes ont remarqué que le temps consacré aux sujets climatiques est moindre, comparé à d’autres sujets d’actualité. Je cite :
« La part des sujets qui évoquent le climat, sur le périmètre étudié, est de moins de 1% en moyenne, avec des pointes à 2% sur les chaînes d’info et à près de 5% pour certains quotidiens nationaux. »
Pour donner un exemple précis, les grandes chaînes d’info en continu BFMTV et CNews ont consacré moins d’1 h chacune à la parution du 6e rapport du GIEC.
L’association ACRIMED s’est aussi attelée à une analyse des contenus liés au dérèglement climatique. Elle a ainsi révélé un manque d’explication sur ses causes et les actions qui pourraient être entreprises afin d’en atténuer les conséquences.
Le discours médiatique, pourquoi c’est important ?
C’est un fait établi : les médias forment et déforment l’opinion publique sur divers sujets de société. Et le dérèglement climatique ne fait pas exception.
D’ailleurs, le nouveau rapport du GIEC stipule bien que « les médias jouent un rôle crucial dans la formation des perceptions, de la compréhension et de la volonté du public à agir vis-à-vis du changement climatique ».
En effet, les journalistes sont responsables de la sélection et de la diffusion des informations internationales. Selon la manière dont on les aborde, elles sont comprises différemment. Tout cela a un impact conséquent sur les individus, qui, à leur tour, absorbent et se réapproprient ces informations à leur façon.
La décrédibilisation régulière des activistes pose un réel problème, empêchant un débat de fond. En caricaturant les écolos, cela évite à tout le monde de parler des actions nécessaires à mettre en œuvre. Le message est ainsi rejeté, telle une vérité qu’on ne veut entendre.
En négligeant le discours médiatique sur les causes et les potentielles solutions, on abandonne le grand public à l’ignorance. On contribue à l’abattement, au fatalisme et au désintérêt, faute de mieux.
Plus que jamais, les individus ont besoin d’outils pour prendre conscience de la réalité de la crise climatique, comprendre ses enjeux et être prêt à agir pour un avenir meilleur.
Sensibiliser au climat ? Un bouleversement déjà d’actualité
Oui, on parle du changement climatique depuis plus de 30 ans ; et plus que jamais, il nous faut comprendre les raisons de l’inaction générale, mais aussi réinventer notre manière de sensibiliser au climat pour mobiliser davantage les individus.
Et cela a déjà commencé : un bouleversement des mentalités est en cours. Le zéro déchet s’invite dans nos maisons. Les médias alternatifs sont de plus en plus soutenus pour leur transparence et leur engagement pour les enjeux climatiques. Enfin, de nombreux outils ludiques existent pour sensibiliser au climat, comme les Fresques (Climat, Nouveaux Récits…). C’est même devenu une activité tendance !
Pssst : à ce propos, est-ce qu’on vous a dit que Les Impactrices ont co-créé la Fresque de l’Écoféminisme avec GCC (une branche de CliMates) ? Une manière ludique de comprendre les mécanismes entre genre et climat, et de trouver les clés pour agir ! Si vous voulez vous aussi votre Fresque de l’Écoféminisme, contactez-nous !