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La souveraineté alimentaire | Le besoin d’un système alimentaire juste

La question de la souveraineté alimentaire est sur toutes les lèvres. Enfin, surtout depuis que les mesures de confinement liées au COVID-19 et la guerre en Ukraine ont braqué les projecteurs sur notre système alimentaire.

Nous avons fait l’expérience de la pénurie de certains aliments, l’augmentation des prix et la disparition des produits de première nécessité des rayons dû à la panique des consommateur·ices… Et tout cela a été magnifié par les récentes manifestations des agriculteur·ices. On parle de reconquérir la souveraineté alimentaire, alors même que la France dépend de plus en plus de ses importations, qui ont doublé depuis 2000… Qu’est-ce que cela révèle de notre système alimentaire ? Mais commençons par le commencement : qu’est-ce que la souveraineté alimentaire ? En quoi nous concerne t-elle ? Au croisement entre justice sociale et préservation de l’environnement, ce concept remet en question notre rapport à l’agriculture, à la nourriture et aux personnes qui la produisent. Il était temps.

La souveraineté alimentaire, c’est quoi ?

Par définition, la souveraineté alimentaire, c’est le droit des peuples (et des pays) de décider de leurs politiques agricoles et alimentaires – sans dumping des pays tiers. La pratique du dumping constitue une concurrence déloyale pour les producteur·ices locaux car les prix sur le marché (souvent au rabais) sont décidés par les firmes étrangères, et ne correspondent en aucun cas à la valeur réelle des produits. Ainsi, la souveraineté alimentaire représente un droit fondamental humain. Mais est-ce une réalité aujourd’hui ?

Alors que les peuples du monde entier ont pratiqué la souveraineté alimentaire pendant des générations, l’arrivée de la globalisation a garanti aux multinationales et institutions internationales le monopole de la production, de la distribution et de l’accès à l’alimentaire au niveau mondial. C’est ce qu’on appelle la politique néolibérale, et c’est elle qui domine aujourd’hui l’industrie agroalimentaire.

De leur côté, les petit·es producteur·ices ont progressivement connu une diminution de leurs revenus, une dégradation de leur santé et alimentation, un manque d’accès aux produits de première nécessité, mais aussi un accroissement de leur dépendance envers les importations. De fil en aiguille, les meilleures terres se sont vues contrôlées par des tiers, contribuant ainsi à l’invisibilisation des paysan·nes sur le marché international, l’abandon des pratiques agricoles traditionnelles, l’exode rural, et par conséquent, la mise en péril du patrimoine génétique, culturel et environnemental de la planète.

En réaction à ce système libéral privilégiant profits aux êtres humains qui nourrissent le monde, La Via Campesina introduit le concept de souveraineté alimentaire dès 1996. Pour ce mouvement international regroupant 182 organisations et 200 millions de petits producteur·ices (paysan·nes, migrant·es, professionnel·les de la pêche et communautés autochtones), il s’agit de :

  • Privilégier l’alimentation des peuples ;
  • Favoriser la transmission des connaissances et pratiques traditionnelles, plutôt que la dépendance envers les nouvelles technologies ;
  • Travailler avec la nature, allant vers résilience et adaptation aux écosystèmes ;
  • Valoriser les travailleur·euses de la terre qui nourrissent le monde ;
  • Revenir aux systèmes alimentaires locaux en rétablissant la relation directe entre producteur·ices et consommateur·ices ;
  • Établir le contrôle au niveau local. Les producteur·ices doivent pouvoir être aux commandes : choisir ce qui est cultivé, avoir accès au crédit ainsi qu’aux terres cultivables, aux ressources, aux semences et à l’eau ;
  • Reconnaître le caractère sacré des aliments : loin d’être une commodité, la nourriture est source de vie.

Se battre pour la souveraineté alimentaire, c’est revendiquer le droit irrévocable des populations à accéder à une nourriture saine issue d’un système de production durable qui reflète les valeurs paysannes et leur connexion à la terre. Mais face à ces idéaux, quelle est la réalité actuelle des agriculteur·ices ?

Manifestations des agriculteur·ices : qu’est-ce que cela révèle de notre système alimentaire ?

Vivre dignement de leur travail. Ce sont les mots qui reviennent le plus dans les discours des agriculteur·ices depuis le début des manifestations en janvier. Tous·tes s’accordent : la détresse des agriculteur·ices, dénigré·es et pourtant si essentiel·les, est intolérable. Un changement structurel fort est nécessaire.

Des semaines de sept jours pour se dégager un maigre salaire, c’est la réalité des personnes qui nourrissent la France aujourd’hui. Celles-ci demandent la dignité des agriculteur·ices dans l’exercice, la juste rémunération de leur travail, et la nécessité de rétablir des conditions d’exercice du métier acceptables. Les manifestant·es dénoncent notamment les grosses marges dont profite la grande distribution, déplorent que le prix de vente ne couvre pas les coûts de production, ainsi que le manque de protection de l’agriculture de la part du gouvernement puisque les produits alimentaires sont mis en bourse au profit du libre-échange.

Quelles sont leurs revendications ? Des mesures pour augmenter leurs revenus, qui vont jusqu’au refus de mesures visant à réduire l’usage des produits phytopharmaceutiques (le plan Ecophyto) ou au rejet des accords de libre échange au profit de l’élevage national. Entre autres, les agriculteur·ices demandent des aides pour les secteurs les plus en crise, dont la viticulture et l’agriculture biologique.

Souveraineté alimentaire, en quoi cela nous concerne ?

1 – La souveraineté alimentaire redéfinit notre rapport à la nourriture

Bien sûr, la souveraineté alimentaire soulève la question de la qualité et de l’origine de la nourriture que nous mangeons. Greenpeace rappelle que les produits issus d’une agriculture écologique sont meilleurs pour la santé, notamment car ils ne sont pas exposés aux pesticides. Selon National Geographic, c’est le système agricole intensif qui est responsable de l’alarmante diminution des nutriments dans notre alimentation végétale. En effet, celle-ci contiendrait moins de fer, protéines, calcium, phosphore, vitamine B2 et vitamine C, comparée à notre alimentation d’il y a plusieurs décennies.

“Selon les scientifiques, l’origine du problème réside dans les procédés agricoles modernes qui augmentent le rendement des cultures mais perturbent la santé des sols. Ce sont notamment les méthodes d’irrigation, de fertilisation et de récolte qui bouleversent les interactions essentielles entre les plantes et les champignons du sol, ce qui réduit l’absorption des nutriments qui poussent dans celui-ci.”

C’est ce que confirme une étude américaine de 2010 affirmant que les fraises issues de l’agriculture biologique contiennent 10% d’antioxydants de plus que celles dérivées de l’agriculture industrielle. Loin d’être une invitation à limiter notre consommation en fruits et légumes, ces faits nous rappellent que nous devons nous renseigner sur les conditions de cultivation des produits composant notre alimentation.

Comment ont-ils été produits, par qui ? Est-ce qu’ils viennent d’une grande exploitation utilisant des pesticides ? La rémunération des producteur·ices est-elle juste ?

2 – La souveraineté alimentaire repose sur la préservation de l’environnement

Souvent présentée comme une solution au dérèglement climatique, la souveraineté alimentaire repose sur la préservation des savoirs ancestraux des communautés paysannes, la conservation des semences traditionnelles, la connaissance des écosystèmes locaux, sans avoir recours aux OGM ou aux pesticides.

La souveraineté alimentaire nous rappelle que nous avons le droit à un système alimentaire qui ne compromet pas l’environnement pour les générations futures. Brisons le mythe selon lequel l’agriculture industrielle est essentielle car elle nourrit le monde. En plus d’être faux, il contribue à occulter le fait que ce système est responsable de la dépendance des paysan·nes aux pesticides, de la contamination de l’eau et du sol, des monocultures de riz et blé qui consomment une quantité astronomique d’eau et contribuent à l’effondrement de la biodiversité.

Tiens-toi bien : l’agriculture industrielle représente seulement 28% de la production alimentaire mondiale, mais utilise 75% des ressources naturelles disponibles ! Cela signifie que le labeur des paysan·nes produit une grande majorité de notre alimentation, soit 72%. Il s’agit à présent de reconnaître les dégâts causés par l’agriculture industrielle et de revaloriser les paysan·nes nourrissent l’humanité depuis des millénaires.

3 – La souveraineté alimentaire réintroduit la dimension humaine dans le débat sur l’alimentation

Comme le dit Chris Newman, le co-fondateur de Sylvanaqua Farms aux États-Unis, “Comment ta ferme peut-elle vraiment être durable si seulement 1% de la population a les moyens d’acheter tes produits ?”. En résumé, il n’y a pas de durabilité possible sans parler de justice sociale. Pourquoi ? Nous produisons assez de nourriture pour nourrir 1.5 fois la population mondiale. La faim dans le monde ne relève pas d’une question de production de nourriture mais bien d’une question d’accès.

Paradoxalement, “80% des personnes souffrant de la faim dans le monde vivent dans des zones rurales, 50% des petits paysan·nes sont vulnérables à l’insécurité alimentaire, et 22% des personnes souffrant de faim sont des fermier·ères sans terre,” selon l’ON​​U.

4 – La souveraineté alimentaire appelle à la revalorisation des cultures traditionnelles

L’avènement de l’agriculture industrielle au niveau global a été rendu possible par l’abandon progressif des cultures traditionnelles, rendues obsolètes. Il fallait être plus rapide, augmenter les rendements, mécaniser les processus. Et lorsque les savoirs ancestraux disparaissent, les paysan·nes deviennent dépendant·es des méthodes préconisées par l’agriculture industrielle.


Penser la souveraineté alimentaire revient à questionner notre système alimentaire actuel. Elle porte des idéaux forts. Remettre l’humain et une alimentation saine au centre de nos vies. Redonner le pouvoir aux personnes qui nourrissent le monde. Travailler avec la nature au lieu de la détruire. Autrement dit, la souveraineté alimentaire est centrale pour la transition écologique et un système alimentaire juste. Toutefois, les récentes manifestations des agriculteurs montrent que nous sommes loin de cet idéal… Que pouvons-nous faire à l’échelle individuelle pour l’atteindre ? Ce sera le sujet d’un article prochain sur le blog des Impactrices…

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Crédit photo Megan Thomas on Unsplash

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