Safya Fierce. Si ce nom ne vous dit rien, il va falloir y remédier. Humoriste et comédienne, elle a fait d’Instagram son terrain de jeu. Avec ses vidéos décalées, elle nous parle de son quotidien, des coulisses de son parcours, et surtout de justice sociale. Nous avons eu la chance de l’accueillir lors de la 2e édition du Printemps des Impactrices, en mai 2022. Le thème du festival ? Imparfaites et Impactantes. Comme elle, comme nous. Lors de l’introduction de notre première table ronde ce jour-là, Safya Fierce a mis sa créativité et son humour au service de la justice sociale. On vous en fait part aujourd’hui, parce qu’on a vraiment adoré. Enjoy !
L’écologie, une affaire de bobos ?
« Pour les moldus, les pots de glace style Cartes d’Or servent à y mettre… de la glace. Mais pour les sorcières du genre ma mère et mes tantes, ça servait à y mettre du poisson séché. À l’époque, ça me foutait en rogne. En ouvrant, je pensais tomber sur une glace goût macadamia, alors qu’en réalité, c’était goût tilapia. Aujourd’hui, je n’ai plus le seum contre ma mère, parce que je sais qu’en réalité c’était un recyclage qui ne se disait pas, parce que ce n’était pas assez glamour, vendable, et peut être un peu basané. Mais en vrai, ma daronne est écolo. Et pendant longtemps, j’ai cru que l’écologie ne me concernait pas. Quand je pense écologie, je pense bobo. Je pense à des visages comme les vôtres [le public du Printemps des Impactrices 2022, NDLR]. Je pense aux pistes cyclables. Je pense à Hidalgo. Je pense « Make Paris Green again ».
Oui, je sais, la terre est à tout le monde. Mais visiblement, tout le monde n’est pas invité à participer à la conversation. Alors, comme l’a dit Magic System, « c’est chaud, ça brûle ». Vous vous doutez bien que je ne vais pas vous parler des petits gestes à adopter pour sauver la planète, cette grande gaillarde qui n’a pas besoin de nous et qui s’en sortira très bien quand on aura tous clamsé. Mais je vais vous parler du sentiment d’illégitimité qui m’a très souvent parcouru pendant ces débats sur l’environnement. Et de pourquoi il est urgent de se réapproprier l’espace et la parole. »
Quand Justice Sociale rime avec Justice Climatique
Ecologie et antiracisme, des combats communs
« Quand Souba, cofondatrice des Impactrices, m’a proposé de faire la performance, I was like “hell no“. Et j’ai paniqué. Bien que consciente de la réalité de l’urgence climatique, je ne me suis jamais plongée dans ces sujets-là. Trop occupée à tenter de conserver mon énergie face à cette ressource malheureusement renouvelable qu’est le racisme. Les oppressions, c’est comme le consumérisme, ça vous consume au point d’oublier que vous êtes des êtres profondément ancrés dans la terre. En réalité, en pensant à l’antiracisme, je n’étais pas totalement à côté de la plaque tectonique. Et d’ailleurs, l’atelier que m’a dispensé Souba concernant les leviers d’action du Défi Climat me l’a prouvé.
En effet, le racisme est en réalité un spectre de la lutte pour l’écologie. Pour la simple et bonne raison que les premières personnes victimes de ce désastre sont des personnes venant des pays du Sud ou des personnes racisées. Ça vous dit quelque chose le racisme environnemental ? En travaillant sur ce sujet, j’ai eu l’impression de redécouvrir des tilapias dans la boîte de Carte d’Or. Pardon, j’ai eu l’impression d’ouvrir la boîte de Pandore. Le racisme environnemental, ça peut se manifester de la plus simple des manières. Comme ne pas être invité à débattre de l’écologie ou être coupé des photos de jeunes activistes comme la jeune activiste ougandaise Vanessa Nakate. C’est aussi observer le scandale de ce qui se passe du côté des territoires français oubliés de la DOM-TOM avec le scandale du chlordécone. J’ai été alarmée, mais pas encore assez secouée dans mon privilège de personne vivant en métropole. »
Premier·es concerné·es, pas écouté·es
Crédits photo : Charlène Yves
« Puis il a fallu regarder du côté de chez moi, la Seine-Saint-Denis. Et là, je me suis dit, “ouhhhh la Seine-Saint-Denis c’est chaud bébé”. Le saviez-vous ? Comme me l’a dit Souba, lors de la canicule de 2003, la surmortalité en Seine-Saint-Denis était de 160 %. Département le plus touché après le Val-de-Marne. C’est aussi dans les zones où les habitants de Saint-Denis vivent près de l’autoroute A1 qu’ont été enregistrés les pics de pollution les plus importants d’Île de France. Pourtant, nos darons et nos daronnes font des métiers aussi où ils sont exposés à des risques environnementaux, à cause de l’utilisation de produits cancérigènes au quotidien. Je vous invite d’ailleurs, après cette performance, à taper « écologie quartiers populaires » sur Google pour vous rendre compte de l’infantilisation que nous vivons, alors que nous sommes pourtant un département qui possède énormément de jardins ouvriers. Jardins qu’on détruit d’ailleurs au profit des Jeux olympiques de 2024.
C’est pour ça que je veux être écolo comme ma daronne. Il est très difficile de se sentir terrien quand on a toujours eu l’impression que cette planète ne nous a jamais été chère. Mais les gars, c’est chaud parce qu’on ne pourra pas aller sur Mars avec les 1% [de la population les plus riches, NDLR]. On est trop fauchés ! »
Imparfaites, mais indispensables
De la boîte de Pandore, on retient l’espoir
« Laissez-moi vous compter le mythe de la boîte de Carte d’Or, pardon, boîte de Pandore. Désolée, le mythe est assez misogyne, mais checkez le propos ! Zeus demande à Héphaïstos de créer la première femme. Cette bouguette, c’est Pandore. C’est tellement une giga belle gosse que Zeus offre Pandore à Épiméthée comme cadeau. Mais avant qu’elle se barre, il lui offre la boîte et lui dit « Gros, t’ouvre pas la boîte ». Évidemment, la bouguette l’ouvre, et bam ! C’est la merde pour l’humanité. Elle libère tous les maux : la vieillesse, la maladie, la guerre, la famine, la misère, la folie, le vice, la tromperie, la passion, l’orgueil…
Voyant la connerie qu’elle a faite, Pandore a essayé en vain de rattraper le coup. Mais comme disait One Republic feat Timbaland, « It’s too late to apologize ». Mais thank you Zeus, bonne nouvelle, seul l’espérance y est restée. Dans les mauvaises traductions de ce mythe, on parle d’espoir plutôt que d’espérance. Et pour que ça colle avec ma morale de performance, on va choisir la malhonnêteté intellectuelle et on va dire que c’était l’espoir. Je ne vais pas vous plonger dans de la positivité toxique, mais je pense qu’il est vital de s’accrocher à l’espoir, sentiment humain qui rend la vie terrestre plus supportable. »
Prendre la parole pour atteindre nos objectifs
« Mais l’espoir n’est pas un sentiment à vivre passivement. Il est entretenu par nos actions et par l’idée de communauté. Et je ne suis pas la mieux placée pour donner des leçons de morale. J’ai été courir chez un giga géant de l’industrie du textile pour me trouver une tenue pour cette occasion et je fuis l’idée de pureté militante, so no shame. Je suis loin d’être parfaite et je suis même plus qu’imparfaite. Mais tout comme la lutte, tout comme Les Impactrices, tout comme vous, peut-être que je peux être impactante.
N’attendons pas qu’on nous invite à la table. Organisons, discutons, réapproprions-nous l’espace, votons pour des représentants politiques sensés, mobilisons-nous dans les rues. On a toustes des expériences de vie différentes et des luttes qu’on incarne plus que d’autres. Mais il me semble qu’on a une finalité commune, celle de vivre tranquillement dans la paix de l’univers. Et surtout celle de vivre dans une planète bleue abritant une société qui soit décente et vivable pour toutes, une diversité biologique et humaine. Pour tendre vers cet idéal, il convient de concevoir ensemble, toutes les perspectives qui s’offrent à nous et la première table du Printemps des Impactrices, intitulée « Imparfaite en quête d’impact : par où commencer », me semble être un excellent début. »