Manifestation du peuple kanak pour son indépendance, en Nouvelle-Calédonie (mai 2024)

Nouvelle-Calédonie | Émeutes Inciviles ou Révolte Légitime ?

La Nouvelle-Calédonie (aussi désignée comme Kanaky ou encore Kanakie) était au coeur de l’actualité ces dernières semaines en raison de la révolte du peuple autochtone Kanak, ayant éclaté le 13 mai dernier. Dans notre dernier article, nous vous proposions de revenir sur l’histoire de la Nouvelle-Calédonie sur les 250 dernières années, pour mieux comprendre les revendications des peuples autochtones. Les indépendantistes Kanaks se sont révoltés suite au vote, par l’Assemblée nationale du projet de réforme constitutionnelle relatif au dégel du corps électoral. Cette réforme constitutionnelle, imposée par Emmanuel Macron, vise à élargir le corps électoral, pour les élections locales, aux immigrés français, étant installés en Nouvelle-Calédonie depuis plus de dix ans. Mais alors pourquoi cette annonce a provoqué la colère du peuple Kanak ? Quelles peuvent-être les incidences d’un tel vote ? Et quelle est la place de l’extrême-droite dans tout ça ?

Émeutes, guerre civile ou révolte légitime ?

Le 13 mai 2024, la Nouvelle-Calédonie s’est embrasée : des barrages ont été dressés par les indépendantistes Kanaks, suite à l’annonce du passage en force du Gouvernement français, relatif au dégel du corps électoral.

Pour rappel, les kanaks (désormais en minorité sur leur propre territoire : 40 % de la population en 2019) s’opposent aux caldoches (les immigrés blancs / européens) sur la question de l’indépendance du territoire.

Si vous voulez plus de détail, (re)lisez notre article sur l’histoire de la Kanaky !

Les accords successifs de Matignon-Oudinot (1988) et de Nouméa (1998) permettaient de « geler » le corps électoral, c’est-à-dire d’empêcher les personnes présentes depuis moins de 10 ans sur le territoire calédonien de se prononcer lors des référendums sur l’indépendance de l’archipel.

Or, le gouvernement français a récemment fait volte-face, en souhaitant dégeler le corps électoral. En d’autres termes, les immigrés (principalement français) présents depuis peu sur le territoire pourraient se prononcer sur l’avenir de ces terres qui ne leur appartiennent pas. Ce qui garantirait quasi-certainement la victoire du « Non » lors d’un prochain référendum sur l’indépendance kanak.

Le texte de loi a finalement été adopté dans la nuit du 14 au 15 mai 2024, soit 1 jour après le début de la révolte en Kanakie.

Des inégalités socio-économiques flagrantes

Mais les causes de cette colère doivent également être sondées en interrogeant les profondes inégalités socio-économiques et ethniques dont souffrent les kanaks, et dont bénéficient les européens et les caldoches (descendant·es de colons). Les Kanaks sont frappé·es par la pauvreté et la précarité : selon une étude publiée par l’INSEE de 2013, les 10% les plus modestes ont un niveau de vie 7,9 fois plus faible que celui des 10% les plus aisés. Et le niveau de vie médian des non-Kanaks est deux fois plus élevé que celui des Kanaks. Selon l’Isee (Institut de la statistique et des études économiques de Nouvelle-Calédonie), en 2020, un.e habitant.e sur cinq vit sous le seuil de pauvreté.

Ces écarts significatifs de niveaux de vie traduisent de fortes inégalités en matière d’accès à l’éducation et à l’emploi des Kanaks. Le taux de chômage s’élève à 20 % chez les Kanaks, soit près du double de la moyenne de l’archipel (12 %). Nous l’avons vu dans l’article précédent : en 1989, 6 % des cadres étaient des Kanaks. 25 ans plus tard, la situation ne s’est pas améliorée : iels sont aujourd’hui moins de 5 % à occuper des postes de cadres, majoritairement occupés par des personnes blanches.

Si 45 % de l’ensemble des non-kanaks sont employé·es ou ouvrier·es, les kanaks le sont à 80 %. Il est évident que l’accès à des professions de cadres et intermédiaires est conditionné par le niveau de diplôme. Il faut préciser que si 1 descendant.e de colon (les caldoches) sur 9 n’a pas le brevet des collèges ou de diplôme, près d’un.e Kanak sur 2 n’est pas diplômé. De même, seul·es 25 % des Kanak ont obtenu le baccalauréat contre 75 % des caldoches.

Un coût de la vie ahurissant

Les faibles revenus des Kanaks souffrent du coût démentiel de la vie, puisque selon une étude de l’INSEE de 2023, l’écart moyen des prix à la consommation entre la France hexagonale et la Nouvelle-Calédonie est de 31 %. Cet écart de prix en fait le territoire “français” le plus cher. Et c’est d’autant plus ahurissant lorsque l’on sait que les prix de l’alimentation sont 78 % plus élevés qu’en France. Se loger relève également du défi puisque le prix des logements est 30 % plus élevé qu’en France.

En d’autres termes, les kanaks ne peuvent pas assouvir leurs besoins primaires, à savoir s’alimenter et se loger, et risquent de perdre le peu de pouvoir institutionnel dont iels disposent si Emmanuel Macron ne renonce pas au dégel du corps électoral. Il était donc à prévoir que ce peuple se soulève contre les injustices coloniales subies depuis près de deux siècles, que son accession à la citoyenneté n’a pas résorbé, même si elle visait à les maquiller à la faveur de la devise républicaine « liberté, égalité, fraternité ».

Une réponse répressive et violente

Plutôt que de favoriser la voie du dialogue, et d’entendre la colère légitime du peuple Kanak, Emmanuel Macron a choisi la militarisation du maintien de l’ordre et la répression. C’est chose courante lorsque les populations des territoires ultra-marins, ou possessions coloniales de la France se soulèvent pour exiger l’égalité en fait et en droit avec les français.es. Le peuple Kanak est considéré, par le Gouvernement français, comme dangereux, et doit être rendu docile par l’emploi de la violence étatique : 3000 policiers et gendarmes ont été déployés et appuyés par plus de 130 effectifs du RAID et du GIGN.

L’État ne dialogue pas avec des mots, mais avec les balles et les assignations à résidence des Kanaks. Sur les réseaux sociaux, des témoignages de Kanaks victimes de violences policières et de Kanaks étant la cible des milices armées de caldoches se sont multipliées. Et, le 15 mai, les vidéos du corps inerte de Nassaïe Doouka ont fait le tour des réseaux sociaux. Cette jeune Kanak de 17 ans a été sauvagement abattue, par un caldoche lui ayant tiré une balle entre les deux yeux. Il s’agit de la première victime de ce que les médias et politiques français nomment « les émeutes ». Le jour de son décès et de la diffusion des vidéos, Gabriel Attal annonce l’interdiction de TikTok sur l’archipel, comme le permettent les dispositions liberticide de la loi relative à l’Etat d’urgence de 2015. Prétextant vouloir éviter les contacts entre « les émeutiers », et au nom de la l’ordre public, le Gouvernement français viole les droits à la liberté d’expression et à l’accès à l’information, ce qui constitue une première pour un pays occidental dit « démocratique ».

La liberté d’expression mise à mal

Au-delà de la volonté affichée du gouvernement d’empêcher les communications entre les émeutiers, il faut aussi y voir la volonté d’empêcher les informations de rayonner en dehors de la Nouvelle-Calédonie, car elles mettent à mal l’image de l’Etat et des colons européen·nes : des milices de loyalistes s’organisent et s’arment non pas pour se « défendre » des Kanaks, mais pour les attaquer.

Aujourd’hui le bilan humain est lourd : 8 personnes ont perdu la vie, dont 5 kanaks, 1 caldoche et 2 gendarmes (dont un a été accidentellement tué par l’un de ses collègues). Ce bilan humain et la surreprésentation des Kanaks parmi les mort·es doit être remis en perspective avec le narratif choisi par le Gouvernement français les présentant comme une menace pour la sûreté publique : qui constitue une menace ? L’État et les caldoches pour les Kanaks, ou les Kanaks pour l’État et les caldoches ?

Le 21 mai dernier, Gérald Darmanin, Ministre de l’Intérieur a déclaré que ces « émeutes, violentes, insurrectionnelles » sont le « fait d’une organisation que nous connaissons (…) en lien, avec des ingérences étrangères (…) et un certain nombre de personnes criminelles. (…) ce n’est pas une révolte politique, je pense que c’est important de le souligner ».

Au vu de nos développements précédents, il nous est permis de dire qu’il s’agit d’une révolte éminemment politique, et profondément anticolonialiste. La seule ingérence étrangère à l’origine de cette révolte est celle de la France, considérée comme un pays colonisateur par l’ONU.

Une voie toute tracée pour l’extrême-droite

Un territoire en attente de décolonisation depuis 40 ans

La Nouvelle-Calédonie est un territoire « autonome » au plan local puisque les luttes menées par les indépendantistes Kanaks à partir des années 1970 ont conduit à un transfert progressif de compétences de l’Etat français vers la collectivité de Nouvelle-Calédonie qui bénéficie, depuis 1998 d’un statut particulier au sein de la République française, consacré par le Titre XIII de la Constitution.

Aussi faut-il préciser que depuis 1986, la Nouvelle-Calédonie est inscrite sur la liste des territoires non autonome à décoloniser établie par l’ONU. Le statut particulier dont elle bénéficie s’inscrit dans un processus de décolonisation de l’archipel, amorcée par les gouvernements français dès la fin des années 1980, sous la pression des révoltes menées par les indépendantistes face aux loyalistes (colons et immigrés français loyaux à la République).

L’extrême-droite et la droite majoritaires en Kanaky

Suite aux résultats des élections européennes le 9 juin, les yeux se sont détournés de l’Océan pacifique. Nous avons ainsi contemplé avec sidération l’Europe et la France, prêtes à sauter main dans la main, pieds joints, dans le gouffre du fascisme institutionnel, dont l’histoire nous prouve qu’en sortir est long et incertain. En France, l’extrême droite a réalisé des scores inédits aux élections européennes, laissant entrer le fascisme français au Parlement européen. Les résultats sont d’autant plus glaçants lorsque l’on s’intéresse aux Départements et Territoires d’outre-mer.

En Nouvelle-Calédonie, Valérie Hayer, candidate du parti présidentiel a récolté 28,64% des voix, Jordan Bardella 21,71% des voix, Marion Maréchal Le Pen 16,01%, et François Xavier Bellamy 12,66% des voix. Autrement dit, la droite et l’extrême droite confondues ont récolté 79,02% des suffrages exprimés, alors même que les listes de gauche (LFI, Europe Ecologie et Ecologie au centre) n’atteignent pas le seuil des 5%.

Toutefois, ces scores terrifiants sont à relativiser car le taux d’abstention atteint 86,87%. Malgré un faible taux de participation, pourquoi la droite et l’extrême droite, porteuses d’une idéologie raciste et colonialiste, rencontrent un tel succès sur cette île de l’Océan Pacifique ?

Un vote dominé par les caldoches

Spoiler alerte : ce sont les descendants de colons (appelés caldoches) et immigrés européens qui ont voté pour les droites dures et l’extrême droite, soit celles de la majorité présidentielle, du Front National et des Républicains.

Source : AFP

Si l’on s’intéresse à la répartition géographique des votes, on s’aperçoit que les électeur·ices de l’extrême droite sont les habitant·es du sud-ouest et du nord-est de la Kanaky. Et, si l’on met cette carte en perspective avec celle de la répartition ethnique de la population Calédonienne, on s’aperçoit que les Kanaks, peuple autochtone, sont concentrés à l’Est de l’île.

Source : Wikimedia

Ce sont donc les caldoches (descendants des colons européens) et les immigrés métropolitains qui ont voté pour les droites dures et l’extrême droite. Force est donc de constater que le vivre ensemble n’a pas sa place en Nouvelle-Calédonie, pas plus que la devise républicaine Liberté, Egalité, Fraternité.

L’histoire du territoire, développée dans cet article et le précédent, nous fait comprendre cette victoire des extrêmes droites, ainsi que l’abstention, dans un contexte de révolte et d’indignation du peuple kanak.

Ce qui est qualifié d’« émeute » et de « risque de guerre civile » apparaît pourtant comme une révolte tout à fait légitime au regard des années d’oppressions subies.

Aujourd’hui encore, et plus que jamais, le vote du dégel du corps électoral et l’arrivée possible de l’extrême-droite au pouvoir représentent un barrage de plus vers la liberté de la Kanaky. C’est pourquoi il est essentiel que nous puissions les soutenir, d’où que nous soyons.

Maintenant, vous savez. Vous saurez expliquer autour de vous pourquoi ce n’est pas simplement une série d’incivilités qui a dégénéré, mais bel et bien un combat pour la liberté et le droit à la décolonisation de tout un peuple.

On rappelle également que l’arrivée de l’extrême-droite au pouvoir, un parti fondé sur la haine de l’autre des l’oppression des libertés de chacun·es, serait catastrophique pour l’ensemble de la population française. Alors allez voter et exprimer votre voix les 30 juin et 7 juillet prochain pour éviter cette catastrophe !


Pour soutenir le peuple Kanak et sa lutte pour son droit à disposer de lui-même, suivez le compte SolidaritéKanaky sur instagram afin de vous tenir informé•es des mobilisations organisées en France.

https://www.instagram.com/solidaritekanaky?igsh=aXU1bGhkM3lqOXgx

Pour aller plus loin

Crédits illustration principale : Patrice Leclerc – Mobilisation de la diaspora kanak le 1er mai 2024 à Paris, pour Union Communiste Libertaire