Carte de la Nouvelle-Calédonie et son drapeau

Nouvelle-Calédonie | 250 ans de Lutte pour la Décolonisation

Le 13 mai dernier, la Nouvelle-Calédonie s’embrasait pour plusieurs semaines. Cette colère du peuple kanak a été déclenchée par l’adoption, à l’Assemblée Nationale, d’une loi visant à dégeler le corps électoral. Avant de vous expliquer les incidences d’un tel vote, on se devait de revenir sur l’histoire de la Kanaky, ou Kanakie (l’autre nom de la Nouvelle-Calédonie), pour vous permettre de mieux comprendre les origines de cette révolte. C’est donc chose faite dans cet article. La semaine prochaine, nous reviendrons plus particulièrement sur les événements qui ont marqué le mois de mai.


Une exploration colonisatrice

La découverte des terres kanak

L’histoire de la Kanaky est complexe, mais je vais faire au plus simple, car il est essentielle de l’avoir en tête pour comprendre les tensions sociales et raciales que connait le territoire aujourd’hui. En 1774, « l’explorateur » (en réalité colon) britannique James Cook arrive sur ce territoire de l’Océan Pacifique. Celui-ci est occupé depuis un millénaire, le peuple autochtone des mélanésiens (les kanaks). Dès lors, la Kanaky est aux mains des anglais, avant que Napoléon III en prenne possession en 1853. Initialement, la prise de possession de la Kanaky est justifiée par la stratégie militaire de Napoléon III. Il souhaite en effet assurer l’implantation française dans cette zone géographique dominée par les anglais, grâce à leurs colonies de peuplement que sont l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

En 1863, l’occupation française découvre que la Nouvelle-Calédonie héberge d’importantes ressources de nickel. La même année, Napoléon III en fait donc le second bagne français (le premier étant la Guyane). La Kanakie devient une colonie de peuplement, c’est-à-dire que de nombreux colons s’y installent. On distingue 2 catégories de colons. Les premiers sont principalement des prisonniers, ainsi que des vagabonds et déportés politiques (comme les insurgés kabyles). Ces colons sont obligés de rester sur l’île après avoir purgé leur peine. Les seconds sont constitués de la bourgeoisie blanche de l’île. Elle comprend les planteurs de canne à sucre ayant fait faillite à la Réunion, les commerçants, les administrateurs coloniaux et les militaires. Cette seconde catégorie exploite la première, pour exploiter les ressources de nickel et s’approprier les terres des Kanaks.

Isolation et répression des autochtones

Comme les aborigènes en Australie sous occupation anglaise, les Kanaks, dépossédés de leurs terres, sont parqués dans des réserves situées dans les îles Loyauté (en vert, à droite sur la carte ci-dessous). La France soumet les Kanaks au code de l’indigénat, qui organise la déshumanisation et la domination des populations autochtones colonisées. Le code de l’indigénat (initialement destiné aux algérien·nes, en 1887) est un outil juridique de domination coloniale et de répression permettant de condamner les kanaks, sans procès, à des peines de prison, de travaux forcés et à des amendes. Ce régime répressif d’exception permet à l’administration coloniale de priver les colonisés de leur citoyenneté et des droits y étant attachés. Et surtout de réprimer leurs révoltes, pour maintenir la domination coloniale.

État des lieux de la colonisation de la Kanaky au 19e siècle :

Répartition de la population en Kanakie de 1866 à nos jours :

Sources : L’Histoire – article La Nouvelle-Calédonie : « Une colonisation pas comme les autres »

Le taux de mortalité des kanaks en dit longs sur leur condition : 70 ans après l’arrivée des colons français, la population Kanak est divisée par deux en raison des maladies importées par les européens, des mauvais traitements et de l’exploitation. L’ironie du sort réside dans le fait que Kanak signifie « être humain » en polynésien. Pourtant, la domination coloniale française repose sur la déshumanisation des kanaks. Leurs terres leurs sont retirées, et iels sont parqué·es dans des réserves où le taux de mortalité explose les plafonds. Leur assujettissement au code de l’indigénat ne sera abrogé qu’en 1946. Bien que les kanaks bénéficient désormais de la nationalité française, il leur faudra 1957 pour bénéficier du droit de vote.

Malgré son déclin, la population des Kanaks est encore majoritaire, et elle commence à revendiquer son indépendante. L’État français profite alors du boom du nickel des années 1960-1970 pour remettre au goût du jour sa politique de colonialisme de peuplement et réaffirmer sa présence dans l’océan pacifique.

Une histoire moderne qui se répète

Alors que les migrants européens arrivent en masse, les processus de décolonisation sont de plus en plus nombreux durant cette période (la Mauritanie, le Gabon et le Nigeria en 1960, l’Alégérie en 1962, entre autres…). Cela amplifie le combat indépendantiste, d’autant plus que les kanaks, bien que français·es, restent des citoyens de seconde zone. En effet, encore aujourd’hui, la Nouvelle-Calédonie est un territoires des plus inégalitaires. Les inégalités socio-économiques se superposent aux inégalités ethniques, reproduisant le schéma du colonialisme sur le territoire.

Les désirs d’indépendance, d’autodétermination et d’accession à la dignité humaine du peuple Kanak se traduisent par une lutte pour la liberté, que leur refuse l’Etat français. Refus qui conduira à ce que l’on nomme pudiquement « les évènements », désignant presqu’une décennie d’affrontements meurtriers entre loyalistes et indépendantistes dans les années 80.

La tragédie qui bouscule les choses

Les évènements se concluent tragiquement par la tuerie de la Grotte d’Ouvéa, qui a provoqué la mort de 19 kanaks et de 6 militaires. Cet épisode sanglant de l’histoire calédonienne survient en pleine élection présidentielle, opposant Jacques Chirac à François Mitterrand. Il contraindra l’Etat français à signer, le 26 juin 1988, les accords de Matignon-Oudinot. Ces accords visent à rétablir la paix entre l’Etat, les loyalistes et les indépendantistes. Ils garantissent aussi le rétablissement de l’équilibre socio-économique, et la répartition des responsabilités entre les indépendantistes Kanaks et les non-indépendantistes européens.

En effet, en 1989, seuls 6% des cadres étaient d’origine Kanak, traduisant l’inégale répartition du pouvoir politique et économique au profit des européens. Un programme de formation voit alors le jour pour assurer la formation des Kanaks, et faciliter leur accession à des postes à responsabilités. Trois Provinces (Sud, Nord et Îles Loyauté) sont également créées. Elles sont librement administrées par des assemblées élues au suffrage direct, et ont une compétence de droit commun, en matière économique, sociale et environnementale.

De l’espoir de l’indépendance à la fatalité coloniale

Quand l’État français reconnaît ses torts

Grâce aux accords de Matignon-Oudinot, les institutions vont bénéficier de 10 ans de se réorganiser et se développer. Période à l’issue de laquelle serait organisée un référendum d’autodétermination. Il s’agit en fait du droit pour le peuple Kanak de disposer d’eux-mêmes, sans subir l’influence et l’oppression des pouvoirs dominants. Le droit d’être indépendant, en d’autres termes.

Or 10 ans plus tard, en 1998, les tensions sont toujours aussi vives entre les kanaks et les autres ethnies (notamment européennes / françaises).

L’accord de Nouméa est donc signé, le 5 mai 1998. Celui-ci repousse à 2014 l’exercice du droit à l’autodétermination. L’Etat français reconnait néanmoins, par cet accord, avoir « porté atteinte à la dignité du peuple Kanak » et affirme que « la décolonisation est le moyen de refonder un lien social durable ». L’accord gèle le corps électoral à partir de 1998 : autrement dit, seul·es les personnes présentes depuis dix ans en continu sur le territoire (soit depuis au moins 1988) peuvent voter aux élections locales, et aux 3 référendums portant sur l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie.

L’heure des référendums

En 2018, le 1er référendum a été organisé pour poser la question suivante à la population néo-calédonienne : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ». Le non l’a emporté à 56,7%, contre 43,3%, avec une abstention de 19%.

Pourquoi un tel résultat, alors que l’indépendance a été réclamée avec autant de vigueur par le peuple kanak ? Eh bien on peut l’expliquer entre autres par la proportion de kanaks de souche dans la population calédonienne totale. Décimée par la colonisation, iels ne représentent aujourd’hui plus que 40 % de la population totale. En 1989 (à l’heure des premiers accords), iels étaient encore 44,8 %.

Le 2e référendum de 2020 s’est également soldé par un rejet majoritaire de l’accession à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie avec 53,26% des suffrages exprimés et un taux d’abstention de 14,3%.

Le 3e référendum, organisé le 12 décembre 2021, a enregistré une écrasante victoire du non (96,5%) puisqu’il a largement été boycotté par les Kanaks. Ceux-ci, endeuillés par le covid-19, avaient demandé un report du scrutin. Mais l’État le leur a refusé, et a entériné les résultats de ce dernier vote. La Nouvelle-Calédonie n’accèdera donc pas à l’indépendance demandée depuis des décennies par la population Kanak.

Entre les accords de Nouméa et aujourd’hui, la position de l’Etat français a opéré un revirement à 180 degrés : d’une volonté (en tout cas affichée) de décoloniser un peuple qui se révolte contre le joug colonial et qui refuse l’injustice, nous sommes passés à une politique gouvernementale qui instrumentalise les principes démocratiques pour se ranger du côté des descendants de colons et des immigrés européens loyalistes.

Un revirement politique à 180°

Emmanuel Macron, tel un pyromane, joue avec le feu, et a décidé de prendre le risque d’embraser la Nouvelle-Calédonie : deux mois après sa réélection à la Présidence de la République, en juillet 2022, il nomme Sonia Backès à la tête du Secrétariat d’Etat en charge de la citoyenneté. Sonia Backès est une loyaliste, fille d’immigrés européens, farouchement opposée à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie.

Désormais, l’objectif est de dégeler le corps électoral, c’est-à-dire de permettre aux personnes installées depuis moins de 10 ans sur le territoire de prendre position (par le vote) sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Or les personnes installées depuis moins de 10 ans sont principalement des immigrés européens / français, aisés, pour qui il pourrait être difficile de rester sur le territoire Kanak en cas de déclaration d’indépendance. Ceux-ci seraient en toute logique opposés à l’indépendance de l’archipel.

L’Etat ne prétend donc plus être neutre, il affiche ostensiblement ses positions sur le devenir de ce territoire. Sonia Backès a même affirmé qu’elle quitterait ses fonctions si l’État ne menait pas à terme la réforme constitutionnelle relative au dégel du corps électoral.

Des mesures qui ne semblent plus être d’actualité. En permettant aux quelques 20 % de personnes, aujourd’hui privées du référendum d’autodétermination, d’accéder à ce vote, couplée à la faible proportion de kanaks dans la population totale, cela assurerait quasi-certainement la victoire du « Non ».

Une prise de position décriée par l’ONU

Pourtant, en décembre 2008, l’Assemblé générale de l’ONU avait rappelé « avec satisfaction les mesures prises par les autorités françaises afin de régler la question des inscriptions sur les listes électorales », en ayant gelé le corps électoral via la réforme constitutionnelle du 19 février 2007, conformément aux accords de Nouméa (1998).

Les colons européens estiment détenir le monopole de la démocratie. Au nom de celle-ci, iels prennent des décisions qui déterminent la destinée d’un peuple qu’iels ont colonisé, et qu’iels veulent déposséder de son droit à disposer de lui même. C’est bien là que réside toute l’hypocrisie française et coloniale, « habile à mal poser les problèmes pour mieux légitimer les odieuses solutions qu’on leur apporte », comme le disait si bien Aimé Césaire dans son Discours sur le colonialisme (paru en 1950 aux éditions Réclame). Le problème a été posé de la façon suivante par l’Etat français : les kanaks refusent l’application des principes démocratiques de la civilisation européenne, et l’odieuse solution ayant été mise en oeuvre pour le résoudre est l’usage de la force, qui se traduit par l’instrumentalisation du droit français et le recours à la répression sanglante contre le peuple Kanak. Pour reprendre, de nouveau, les termes d’Aimé Césaire : « de la colonisation à la civilisation, la distance est infinie », et que de cette réforme réforme constitutionnelle et de tous les moyens pour la mettre en oeuvre coûte que coûte « on ne saurait réussir une seule valeur humaine ».


L’objectif de ce premier article était de retracer l’histoire de la Nouvelle-Calédonie, afin de vous permettre de mieux comprendre les récents événements. Dans le prochain article, nous reviendrons justement sur la révolte Kanak de mai dernier, et nous ferons le lien avec les dangers de la montée de l’extrême-droite.

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Pour aller plus loin

Crédits illustration principale : DrRandomFactor, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons