Table ronde au Printemps des Impactrices sur le thème : diversité et représentation dans le mouvement climat

Mouvement Climat et Représentation des Personnes Racisées

Dans le cadre du Printemps des Impactrices 2023 sur le thème « Premières impactées, Premières écoutées » s’est tenue une table ronde pour échanger sur l’importance de la représentation au sein du mouvement climat.

« Si vous agissez pour moi mais sans moi, alors il y a des chances que vous le fassiez contre moi. »

Nelson Mandela, repris par Soraya Fettih

Cette belle citation résume le sujet de notre table ronde dédiée à la représentation des personnes racisées au sein du mouvement climat. En effet, les espaces médiatiques, scientifiques ou politiques sont souvent investis des mêmes profils de spécialistes : souvent masculins, blancs, issus de milieux privilégiés. Dans cette configuration, c’est comme si on actait que la parole des personnes racisées ou des femmes ne comptait pas, ou très peu. Pire encore, pour parler des problématiques liées au genre ou au milieu social et culturel, on exclut souvent les premières personnes concernées du débat. Pourtant, iels ont l’expérience et la légitimité nécessaire pour parler de ces sujets. Alors, comment lutter pour plus de représentation des personnes racisées dans le mouvement climat ? C’est la question à laquelle nos intervenantes ont cherché à répondre lors d’une table ronde au Printemps des Impactrices 2023.

Poser le cadre : que veut-on dire par « représentation » dans le cas de cette table ronde ?

Avant de commencer, la modératrice Soraya Fethi a voulu poser un cadre pour définir la représentation et la remettre dans le contexte de cette prise de parole : la représentation des personnes sexisé.es et racisées au sein du mouvement climat.

Personne sexisées → personnes qui subissent le sexisme et/ou les conséquences du patriarcat : femmes cis (des personnes née avec le chromosome XX et qui ont aussi le genre féminin), femmes transgenres, femmes non-binaires (des personnes perçues comme ayant le genre féminin).

Personnes racisées → personnes qui subissent des oppressions du fait de leurs origines ou origines perçues.

Représentation → le fait d’être représenté dans les espaces publiques, de discussions, de prises de décisions. Le fait que les personnes / groupes de personnes sexisé.es et racisé.es soient présent.es, mis.es en avant, ou participent aux prises de décisions.

La représentation : un besoin vital pour se sentir légitime dans la lutte pour le climat

Un manque de représentation dans les espaces médiatiques et politiques

La modératrice Soraya Fettih partage son ambition d’amener plus de représentations au sein des espaces et conversations sur le climat. Elle propose entre autres de prendre en compte les spécificités, paroles, envies et besoins des groupes qui en sont exclus. Ce sentiment est partagé par les autres intervenantes. Selon elles, le manque de représentation contribue à nourrir un sentiment d’illégitimité.

Modération de Soraya Fettih au Printemps des Impactrices 2023
Crédits photo : Audrey Bourdier

Safya Fierce est créatrice de contenus et parle d’injustice sociale, de racisme et de lutte pour l’écologie. Elle a pourtant du mal à se sentir légitime lorsqu’elle parle de ces sujets-là. Elle l’explique notamment par le manque de représentation dans l’espace médiatique. L’exemple de Vanessa Nakaté est criant : malgré son statut d’activiste climat reconnue, elle s’est vue croppée d’une photo avec des activistes blanches. « On n’y est pas encore [la représentation], j’ai l’impression d’être juste en vitrine. »

Des éco-gestes pas nommés mais évidents

Pour Sanaa Saitouli, quand on grandit dans un quartier populaire, les éco-gestes font déjà partie du quotidien. Pourtant, ils ne portent pas leur nom. Vivre dans la sobriété, hériter des vêtements de la fratrie, faire attention à l’eau, ça fait partie du quotidien. Pourtant, elle vivait comme une humiliation les associations qui venait les éduquer sur le tri des déchets.

Dès 2012, elle commence à prendre conscience des enjeux climatiques et écologiques. Elle s’engage alors à Cergy pour mettre en place des actions citoyennes et lutter contre l’enfermement des quartiers. Comme elle, beaucoup sont actifs localement et dans les autres quartiers, mais restent invisibilisés et en manque de représentation. « [Dans les quartiers] on a toujours travaillé et investi dans ces sujets mais on n’a jamais osé porter ces sujets comme des experts. Il y a un manque de légitimité ressenti ». C’est pour cela qu’elle co-créé Banlieues Climat : elle accompagne les quartiers populaires à prendre leur place au sein du mouvement climat, en mettant en lumière le travail qui se fait depuis plusieurs années et en portant la voix des oubliés.

L’apparence physique, malheureux critère de crédibilité

Darlène Kassem raconte aussi avoir ressenti un manque de légitimité. Originaire de Côte d’Ivoire, elle connaît bien l’impact de la crise climatique dans son pays. Pourtant, Darlène a longtemps été incertaine sur la meilleure manière pour se faire entendre sur ces sujets-là. Un passé de reine de beauté lui fait sentir qu’elle manque de crédibilité. Elle s’est donc faite accompagner par des experts pour combler ce qu’elle considérait comme une lacune. Avec du recul, elle s’est aperçue qu’elle était tout à fait légitime. Elle aurait finalement préféré être sur le terrain pour apporter des solutions, plutôt que de perdre du temps. Pour Darlène, le fait de ne pas avoir « vu assez de personnes comme [moi], peut mettre dans une position d’inaction. »

D’où vient ce manque de représentation ?

Aux Etats-Unis, la question de justice climatique est traitée depuis les années 70 suite aux premières affaires de racisme environnemental. En France en revanche, les études sur le sujet de représentation au sein du mouvement climat sont quasi-inexistantes. Nous sommes donc obligé·es de nous baser sur l’expérience, le constat et le ressenti des personnes concernées.

Les causes de cette absence de représentation sont multiples: elles peuvent être structurelles, personnelles, sexistes, etc. Safya rappelle que ce sont rarement les personnes racisées (et les pays « du Sud global ») qui sont responsables du dérèglement climatique, même si ce sont souvent les premières impactées. De plus, pour beaucoup d’entre elles, le dérèglement climatique paraît trop lointain contrairement aux injustices sociales et au racisme subi.

« Le désastre écolo n’est pas la faute de mes ancêtres. Mais on est tous concernés et il faut forcément agir. »

Safya Fierce
Intervention de Safya Fierce au Printemps des Impactrices 2023
Crédits photo : Audrey Bourdier

Mais malgré les priorités de chacun.e en termes de justice sociale, la lutte climatique est transverse et collective (et inclut aussi un enjeu autour du racisme). Une question ressurgit alors : comment invite-t-on les gens à s’engager ?

Les minorités sont souvent désignées comme un groupe monolithique et homogène. Mais pour engager plus de personnes dans la lutte pour le climat, il est nécessaire de prendre en compte les spécificités de chacun.

Soraya dénonce par exemple un des arguments phares : il faut arrêter de prendre l’avion. C’est certes une solution pour certains, mais pour beaucoup d’autres elle est déconnectée de leur réalité : ceux vivant dans la précarité par exemple, ou ceux qui n’ont ni le temps ni l’argent de prendre l’avion ne se sentiront pas impliqués.

Le collectif Banlieues Climat a aussi décidé d’avoir une approche collective, en montrant les solutions existantes sur le terrain et en trouvant une façon de raccrocher tout le monde.

Intervention de Sanaa Saitouli au Printemps des Impactrices 2023
Crédits photo : Audrey Bourdier

« Être sur une table ronde sur un sujet comme celui-ci, qu’avec des personnes racisées, c’est un truc de fou. Mais ça ne suffit pas ! Il ne faut pas que ce soit juste une vitrine. Derrière, il faut avoir les messages qui passent et les moyens qui vont avec. »

Sanaa Saitouli

Plus de représentation permet justement de nuancer les conversations et de démontrer les pluralités de vulnérabilités face à la crise climatique. Il n y a pas une seule façon d’agir, d’où l’importance d’avoir des espaces de discussion qui existent, pour confronter les idées et montrer l’hétérogénéité.

Pourquoi la représentation est vitale

La représentation est clé pour se sentir légitime et pour construire des campagnes et plans adaptés aux différents besoins des minorités. Mais elle est aussi importante pour éviter le tokenisme*. C’est impératif de prendre sa place dans les espaces dominants. Sinon quand d’autres le font pour nous, il y a un risque d’être mal représenté ou instrumentalisé.

« Je suis convaincue que chaque fois qu’on parle à notre place, on ne va pas être représenté à sa juste valeur. Qui mieux que nous pour parler de nous-même? On doit occuper l’espace, on n’a pas le choix »

Sanaa Saitouli, cofondatrice de Banlieues Climat

Prendre sa place permet d’apporter de la nuance, d’éviter le tokenisme et de conscientiser si cela arrive. En le faisant, on participe à se montrer, à ouvrir le dialogue et apporter son point de vue.

*tokenisme = la représentation superficielle de personnes issues de groupes minorisés, sans aller chercher les causes premières, ni faire un travail de fond pour apporter plus de représentation.

La représentation pour moins policer notre discours

« Le moment où j’ai commencé à évoluer dans mon art, c’est quand j’ai arrêté de parler comme une minorité. Je suis la reine de mon propre royaume. » Sanaa ne cherche plus à expliquer les choses, les références… Quand on commence à prendre des actions, on se sent beaucoup plus légitime, on connaît nos propres réalités et il n’y a personne d’autres que nous qui peut parler de nos propres expériences.

La représentation pour ne pas diminuer les actions : les nôtres et celles des autres

Au début de la création de son association Yiri, Darlène met en place une initiative de recyclage comme celles qu’elle voit parmi les solutions mainstream. Avec du recul, elle se rend compte que ce qui se fait ailleurs ne correspond pas à la réalité du terrain en Côte d’Ivoire (pas de centre de tri existants, personnes faisant déjà du recyclage à leurs niveaux et pour leurs besoins) et qu’il faut donc adapter et trouver des mesures propres à son écosystème.

Pour Sanaa aussi, il faut refuser la victimisation que subissent les personnes racisées. Au contraire, celles-ci connaissent les manquements et ont déjà les solutions. D’où l’importance d’ouvrir l’espace pour créer le dialogue et recevoir les ressources nécessaires pour changer les choses.

« On n’a pas besoin de se dire “je suis une minorité”. Il faut se dire “même à moi seul·e, je suis là, j’existe et je peux ! Je ne suis pas moins qu’un·e autre” »

Darlène Kassem
Intervention de Darlène Kassem au Printemps des Impactrices 2023
Crédits photo : Audrey Bourdier

Comment faire ? Plusieurs pistes proposées pour apporter plus de représentation

  1. Mettre en lumière des projets déjà existants (comme ceux dans les banlieues, à l’étranger) portés par des femmes et des hommes dans des communautés marginales
  2. La solidarité à l’intersection des combats – mobiliser tout le monde et prioriser les personnes ayant peu de temps d’exposition ou d’écoute lorsqu’on voit des opportunités (de prise de parole, de ressources ou financement, de mise en avant etc.).
  3. Un engagement citoyen personnel : quand on se ne se retrouve pas dans les centres décisionnaires et dans l’absence des politiques publiques existantes → il faut aller sur le terrain politique pour porter la voix des oubliés et créer un contre-pouvoir.
  4. Compter sur sa communauté personnelle quand le gouvernement est trop lent, il suivra ! Il n’a pas le choix ! Dans notre petit pouvoir on peut devenir grand en embarquant les gens autour de nous. Et c’est en voyant les gens se mobiliser que les gouvernements changeront.
  5. Investir les espaces mainstream pour créer du lien et être vu.e.s !

Pour aller plus loin